Oui, le Guadeloupéen est d’origine africaine. C’est une évidence qu’il ne peut renier et ne renie pas. Vouloir lui interdire de perpétuer la culture musicale de ses grands-parents est impossible.
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Informations générales
- Année de parution : 2002
- Genre : Mémoires
- Nombre de pages : 230
Avis et analyse
Aujourd’hui, je vous présente un livre très intéressant pour apprendre à connaître la musique et la culture guadeloupéennes. J’ai souvent constaté que les gens parlaient des îles comme si elles étaient interchangeables et qu’elles n’avaient pas chacune leur propre culture.
Combien de fois on m’a déjà demandé si je retournais souvent en vacances en Martinique ou en Guyane alors même que je n’y ai jamais mis les pieds parce que je viens de Guadeloupe ! Loin de moi l’idée de renier les liens qui nous unissent, simplement chaque île, tout comme chaque pays ou chaque région a sa propre histoire et sa propre culture.
Si certains en doutaient, je les invite à lire cet ouvrage, véritable plaidoyer pour la reconnaissance de la Guadeloupe comme précurseuse de nombreux style musicaux dont la célèbre biguine.
Je vous invite donc à vous laisser bercer au rythme du toumblak ou du kaladja, à vous déhancher sur une biguine et à fredonner le zandoli pas tini pattes, en plongeant dans cet ouvrage.
Le toumblak et le kaladja font partie des sept rythmes du gwoka avec le graj, le padjanbèl, le woulé, le menndè et le léwòz. Il faut savoir que chaque rythme a sa propre signification. Ainsi, le toumblak est un rythme festif évoquant souvent l’amour alors que le kaladja est un rythme plus lent qui évoque la souffrance et la tristesse.
Le zandoli pas tini pattes est un rythme appelé boulaguél ou bouladjel qui consiste en une succession d’onomatopées et de battement de mains. Cette pratique est considérée par la France comme patrimoine culturel immatériel. Quant au gwoka, il a été inscrit en 2014 comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité !
La biguine est un style musical propre aux Antilles. Sur Wikipédia, vous lirez que la biguine est originaire de la Martinique mais cela n’est pas l’avis de Marcel S. Mavounzy qui démontre dans son ouvrage que la biguine est originaire de Guadeloupe.
« Pourquoi veut-on priver la Guadeloupe du rythme de sa biguine qui est unique, indéchiffrable à première vue par les grands prix des conservatoires de musique dans le monde ? Rythme qui n’intéressait personne, dont d’autres pays de la Caraïbe tentent de nous priver de la paternité alors qu’il est le bien de la Guadeloupe et de ses musiciens »
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Derrière l’histoire de la musique guadeloupéenne, se tisse celle de l’île et on mesure l’apport des esclaves et de leurs descendants à sa culture. Encore une fois, je suis impressionnée par la capacité de résilience de mon peuple, ces hommes et femmes arrachés à leurs terres, humiliés, torturés et qui pourtant n’ont jamais cessé de créer, notamment à travers la musique.
Interdits de bals et de fêtes, ils ont créé leur propre musique et leur propre mode d’expression. Ils ont ainsi transformé la quadrille de leurs maitres, danse d’origine slave, en y introduisant un nouveau rythme plus tropical.
« Les nègres sur le sol de la Guadeloupe, et particulièrement les serviteurs dans les différentes réceptions organisées par les colons blancs, n’avaient pas la possibilité d’organiser des fêtes. Mais presque en silence, ils faisaient revivre les rythmes de leurs terres natales. »
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De nombreux obstacles se sont dressés devant eux. Ainsi, on tenta de leur faire abandonner le gwoka mais rien n’empêcha les guadeloupéens de faire vivre cette musique, véritable âme de la Guadeloupe. En effet, les maîtres l’interdisaient car ils avaient peur que le son du tam tam soit un signe de ralliement pour une éventuelle révolte d’esclaves. Ensuite, ce fut le clergé qui interdit cette musique. Mais des hommes et des femmes se sont battus pour leur culture, comme l’auteur du livre qui fut le premier à procéder aux enregistrements de musique guadeloupéenne sur disque phonographique.
« Une grande partie des esclaves d’Afrique a été dirigée vers la Nouvelle-Orléans, la Caraïbe, etc. et malgré les voyages difficiles qu’ils ont eu à supporter, ils ont gardé en leur sang, en leur âme, en leur fierté, le résidu de leur culture : le tam-tam, bien spirituel et culturel. »
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L’auteur nous raconte également la jeunesse antillaise des années 1930 et 1940. C’était une jeunesse créative et pleine d’espoir. De nombreux groupes de jeunes sont devenus célèbres et ont contribué à l’héritage culturel de l’île. D’ailleurs, en bonus, l’ouvrage regorge de nombreuses images d’archives !
Aujourd’hui encore notre culture est menacée par certaines personnes qui arrivent sur nos îles dans le seul but de vivre la dolce vita sur la plage en sirotant un ti punch sans même s’intéresser à notre héritage culturel et à notre histoire. Les récentes polémiques à propos de la voiture à pain dont le passage dérange certains nouveaux venus ou encore les festivités jugés trop bruyantes le démontrent bien.
A l’image de l’auteur de ce livre, nous devons absolument défendre notre héritage culturel. Cela commence par connaitre son histoire et ceux qui y ont joué un rôle important.

Enfin, ce livre m’a permis de découvrir le passé de la ville de Pointe-à-Pitre. D’environ 2 km2, cette petite ville m’a toujours intriguée. Quand j’étais au collège, à Massabielle, j’aimais aller manger une glace chez Fabienne Youyoutte à Coco Banane, récemment élue meilleur artisan de France, et flâner sur la place de la Victoire.
J’aimais aussi observer les doudous du marché aux épices et me perdre à la librairie Saint John Perse. Les joueurs de ka n’étaient jamais loin et il n’était pas rare de voir des personnes danser devant eux. J’adorais aussi aller au cinéma Rex et me plonger dans un univers lointain.
Malgré tout cela, Pointe-à-Pitre me semblait quand même une ville dangereuse et pauvre et j’avais beaucoup de mal à imaginer son passé glorieux. Toutefois, grâce à ce livre j’ai réellement compris l’âme de cette ville, lieu de fêtes, de musiques et de création.
J’y suis allée bien souvent mais je ne voyais pas, je ne voyais rien. Pourtant, j’aurais pu voir dans la poussière tourbillonnante des coins de rue, un reste de passé festif. J’aurais pu voir à travers les vitres des maisons abandonnées, l’ombre des danseurs virevoltant sur la piste de danse. J’aurais pu imaginer devant ces cases aux peinture usées, la splendeur des casinos de l’époque. J’aurais pu entendre les notes d’une biguine envoutante dans le souffle du vent.
Pour voir les choses différemment, il ne suffit pas toujours d’ouvrir les yeux mais surtout d’adopter un autre regard sur les choses. Pour cela, je vous invite à découvrir cet ouvrage, disponible chez Présence Africaine.
L’auteur

Avant la lecture de ce livre, je ne connaissais pas du tout M. Marcel S. Mavounzy. Désormais, je suis réellement reconnaissante pour le travail qu’il a accompli pour sauvegarder et préserver la culture guadeloupéenne. Né en 1919 et frère du musicien Robert Mavounzy, il fut le premier à réaliser un enregistrement de disque phonographique aux Antilles françaises sur disque Emeraude.
En tant que producteur, il a aidé de nombreux artistes guadeloupéens à se lancer et à contribuer à diffuser la musique guadeloupéenne. Il fut récompensé par la médaille d’or des musiciens en 1997 et reçu l’Oscar Maître Ka en 1992. Ce grand homme s’est éteint en 2005 mais la Guadeloupe n’oubliera jamais son oeuvre.