Littérature africaine

Lecture croisée sur l’émancipation de la femme africaine

La condition de la femme est par conséquent le noeud de toute la question humaine, ici, là-bas, partout. Elle a donc un caractère universel.

Page 27 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique, Thomas Sankara

Résumé

Les impatientes

Au Cameroun, il existe des cultures où les femmes n’ont droit à rien et ont pour seul destin leur mariage. On leur répète sans cesse d’être patientes et de tout supporter en silence. Le récit présente le destin croisé de trois femmes qui n’en peuvent plus d’être patientes. Mariées de force, violées, humiliées, elles sont contraintes de tout accepter… mais jusqu’à quand ? Ramla, Safira et Hindou sont le reflet de la condition féminine au Sahel. A travers leurs histoires, l’actrice dénonce l’ensemble des violences faites aux femmes, ce qui donne au récit une portée universelle. 

L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique 

Lors d’un rassemblement de plusieurs milliers de femmes à Ouagadougou, le 8 mars 1987, Thomas Sankara livra un discours puissant dans lequel il appela à la fin de l’oppression des femmes. Il expose les origines de cette oppression et explique à quel point cela pose problème non seulement au Burkina Faso mais aussi dans le monde entier. Il développe une compréhension marxiste de la société humaine et met la libération de la femme au service de la Révolution. 

Analyse

Le féminisme est souvent considéré comme une valeur occidentale et est parfois présenté en opposition à certaines traditions africaines. Pourtant, que ce soit en Occident ou en Afrique, force est de constater que le patriarcat est le schéma dominant (bien qu’il existe des sociétés matriarcales sur le continent africain). Ainsi, il serait faux de croire que la lutte féministe est une lutte occidentale. Cette lutte existe aussi en Afrique et ces deux livres en sont le parfait exemple. 

La critique des sociétés patriarcale

La vidéo montrant un pasteur africain affirmer avec fougue que « La place de la femme c’est la cuisine » a fait le tour du monde. Si cette vidéo a pu nous faire rire (jaune), elle ne doit pas nous faire oublier que c’est une réalité pour certaines femmes sur le continent (et dans de nombreuses régions du monde). 

La patriarcat peut se définir grossièrement comme une société dominée par les hommes et fondée sur l’autorité prépondérante du père. Pour autant, il n’est pas pertinent de comparer le patriarcat qui s’exerce en Occident à celui qui s’exerce en Afrique ou encore en Asie ou en Amérique. Chaque culture a ses propres spécificités et la comparaison peut vite atteindre ses limites. 

On peut cependant soulever le fait que les premières victimes de ces systèmes sont les femmes. Elles sont bien souvent placées à un rang inférieur et mènent une vie jalonnée d’épreuves. 

Dans le livre Les impatientes, Djaïli Amadou Amal dénonce le poids du mariage ainsi que la polygamie et les mariages forcés. Dans la société qu’elle décrit, les filles sont élevées dès le plus jeune âge dans le seul objectif d’être mariées.

« Nous ne sommes ni les premières ni les dernières filles que mon père et mes oncles marieront. Au contraire, ils sont plutôt contents d’avoir accompli sans faille leur devoir. » 

page 21 – Les impatientes

Dans certaines cultures, le mariage apparaît comme un véritable instrument de domination. Après la domination du père, les femmes subissent la domination de leur époux. 

« Les conseils d’usage qu’un père donne à sa fille au moment du mariage, et par ricochet, à toutes les femmes présentes, on les connaissait déjà par coeur. Ils ne se résumaient qu’à une seule et unique recommandation : soyez soumises ! » 

page 77 – Les impatientes

Les femmes sont muselées, elles n’ont pas le droit à la parole et doivent être totalement soumises. La vie maritale est le destin funeste promis aux jeunes filles, une prison dont elles ne peuvent s’échapper. 

« En catimini, les femmes de la famille me parlaient du mariage comme d’un devoir auquel on ne pouvait échapper. Et si, par malheur, il m’arrivait encore d’évoquer l’amour, elles me traitaient de folle, me disaient que j’étais égoïste et puérile, que je manquais de coeur et n’avais pas la sens de la dignité. » 

page 54 – Les impatientes

Cette condition est également dénoncée par Thomas Sankara. Bien que la situation soit différente au Burkina Faso, les femmes sont pour lui tombées dans le piège du patriarcat. 

« La tendresse protectrice de la femme à l’égard de la famille et du clan devient le piège qui la livre à la domination du mâle. » 

page 29 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Ces deux écrits ont pour point commun de dénoncer le poids des coutumes et des traditions qui empêche l’émancipation des femmes.

« La coutume interdit aux filles d’éconduire un prétendant. Même si l’on n’est pas intéressée, on doit quand même éviter de froisser un homme. » 

page 37 – Les impatientes

Bien que les traditions camerounaises et burkinabé soient différentes, les femmes subissent des formes d’oppression que les auteurs dénoncent avec force. 

« Un homme, si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer : sa femme. » 

page 34 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Je répète que ces ouvrages ne sont pas une description de ce que vive toutes les femmes africaines au sein des 54 pays du continent. Djaïli Amadou Amal décrit la situation des femmes dans certaines communautés peules et de la condition féminine au Sahel et Thomas Sankara adresse son discours aux femmes burkinabé. C’est certes une réalité mais il ne faut pas généraliser à l’ensemble du continent africain. Ce qui est intéressant dans ces ouvrages est de montrer que les idées féministes existent aussi en Afrique.

L’émancipation des femmes nécessaire à la libération du Continent

Djaïli Amadou Amal, décrit parfaitement les conséquences de ces différentes oppressions sur les femmes. 

« Il est difficile, le chemin de vie des femmes ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. A toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable […] J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs. » 

page 121 – Les impatientes

Le fait de tout devoir supporter en silence a un impact sur la santé mentale des femmes africaines et fini par les détruire totalement. 

« On confirme que je suis folle. On commence à m’attacher. Il parait que je cherche à fuir. Ce n’est pas vrai. Je cherche juste à respirer. Pourquoi m’empêche-t-on de respirer ? De voir la lumière du soleil ? Pourquoi le prive-t-on d’air ? Je ne suis pas folle. […] Si j’entends des voix ce n’est pas celle du djinn. C’est juste la voix de mon père. La voix de mon époux et celle de mon oncle. La voix de tous les hommes de ma famille. […] Non, je ne suis pas folle. Pourquoi m’empêcher-vous de respirer ? Pourquoi m’empêchez-vous de vivre ? » 

pages 151-152 – Les impatientes

Le livre Les impatientes contient de nombreux passages éprouvants. Sa lecture est difficile et bouleversante. C’est pourtant une lecture nécessaire pour comprendre l’impact des sociétés fondées sur la domination masculine. En le lisant, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les femmes afghanes dont les conditions de vie ont empiré avec le retour des talibans. 

C’est la raison pour laquelle, Thomas Sankara souhaite mettre fin à la société patriarcale et dominatrice de son pays. 

« Aussi le  sort de la femme ne s’améliorera-t-il qu’avec la liquidation du système qui l’exploite. » 

page 30 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Balayant toute idée d’infériorité de la femme, Thomas Sankara met en avant sa force. Son discours est une ode à la femme burkinabé et à la femme de manière générale. Entre colère contre des hommes qui ne cessent d’exploiter et de soumettre les femmes et exaltation à la libération, son discours résonne encore aujourd’hui. 

« […] cet être dit faible mais incroyable force inspiratrice des voies qui mènent à l’honneur […] »

page 25 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Pour lui, la libération des femmes est étroitement associée à la Révolution. Les femmes sont utiles à la société. Il ne s’agit pas d’êtres fragiles mais de véritables forces. A ce titre, les laisser rayonner est un service rendu à la nation. 

« Car la révolution ne saurait aboutir sans l’émancipation véritable des femmes. » 

page 53 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Ainsi, si ces deux livres parlent de la situation des femmes dans des sociétés bien distinctes, il n’en ont pas moins un dimension universel. 

« Cette main de la femme qui a bercé le petit de l’homme, c’est cette main qui bercera le monde entier. » 

page 67 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Ces deux livres m’ont permis de prendre conscience qu’il existe une véritable lutte féministe sur le continent africain. Il serait réducteur d’associer cette valeur uniquement au monde occidental. Souvent caricaturée, la femme africaine a de grands enseignements à partager au reste du monde et ses luttes méritent d’être mises en lumière.

Lifestyle

Livres et identité

Comme toujours, quand je me lance à l’abordage de moi-même, les livres-aimés, les auteurs-aimés, me font des signes. Ils sont là. Ils m’habitent en désordre. Ils me comblent d’un fouillis. Tant de lectures depuis l’enfance m’ont laissé mieux que des souvenirs : des sentiments.

Ecrire en pays dominé, Patrick Chamoiseau, page 24

Savez-vous pourquoi vous lisez ? Savez-vous ce que la lecture vous apporte réellement ? Depuis sa création, le livre est un formidable outil de partage de connaissances. Parfois instrument de propagande, parfois instrument de libération, les livres sont bien plus puissants qu’on ne le pense. 

« J’ai un livre sur ma table de chevet. Parce que je n’ai pas de pistolet. » 

Un monstre est là, derrière la porte, Gaëlle Bélem, page 139 

Pour ma part, j’ai toujours aimé lire, et pourtant, ce n’est que récemment que la lecture m’a fait son plus bel apport : la prise de conscience de mon identité. En effet, ce n’est que depuis quelques années que j’ai une réelle connexion avec mes origines et que j’ai pris conscience de la richesse de l’histoire de mon île et de la force de mes ancêtres.

La question de l’identité occupe une place importante en Guadeloupe. Ses rivages ont vu autrefois se déverser une génération de déracinés arrachés à leurs terres africaines, des hommes avides de richesses et des travailleurs malheureux, tout cela au détriment des Arawaks et des Kalinagos, ses premiers habitants.  

La lecture de certains ouvrages m’a éveillé à la complexité de l’identité antillaise. Je vais vous présenter ceux qui ont été pour moi les éléments déclencheurs de cet éveil.

Comprendre la réalité de la colonisation avec Aimé Césaire

C’est un peu par hasard que j’ai décidé de lire le Discours sur le colonialisme et depuis il est devenu une oeuvre de référence dans mon panthéon livresque. C’est LE livre qui m’a fait véritablement m’interroger sur la question coloniale. Césaire y dénonce avec force les horreurs de la domination de l’homme par l’homme et balaie d’un revers de plume les arguments visant à trouver des justifications à la colonisation.  

« Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »

Page 7

L’un des points qui m’a marqué c’est la manière dont il aborde le fait que la colonisation tend à déshumaniser non seulement le colonisé mais aussi le colonisateur. 

« La colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral […] Au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès, lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. »

Page 12 

Notons ici l’utilisation par Aimé Césaire du mot « ensauvagement » (si souvent repris aujourd’hui pour propager des thèses racistes).

« La colonisation, je le répète, déshumaniste l’homme même le plus civilisé »

Page 21

Connaître l’histoire de ses ancêtres avec Christiane Taubira

Au sein de ma famille, la question de l’esclavage n’est jamais abordée. J’ai pu observer un certain tabou dans les familles antillaises surtout chez nos ainés. Cette période sombre est étudiée à l’école de manière assez succincte, du moins lorsque j’y étais. Pour faire simple, j’y ai appris que des africains ont vendu leur frères en échange de pacotilles. Evidemment l’histoire est beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre les livres scolaires. 

« J’aime les Nègres marrons, mais aussi tous les insurgés, rebelles, mutins, résistants et abolitionnistes de toutes les époques et de toutes les causes. »

L’esclavage raconté à ma fille est un bon moyen pour connaitre l’histoire de l’esclavage et son impact. Il se présente sous la forme de question/réponse et a donc l’avantage d’être très pédagogique. L’analyse de Christiane Taubira est très juste et aborde aussi les problèmes contemporains. C’est un excellent livre quand on commence à s’intéresser à la question de l’esclavage et à son histoire. 

« La France, qui fut esclavagiste avant d’être abolitionniste, patrie des droits de l’homme ternie par les ombres et les « misères des Lumières ».

Etre fière de ses origines et des siens avec Lilian Thuram

Mes étoiles noires est un petit bijou à avoir dans sa bibliothèque. Il met en lumière des hommes et des femmes noires au parcours exceptionnel. Des inventeurs, des résistants, des artistes… si souvent oubliés de l’histoire quand ils n’ont pas été carrément effacés.

« Tous les enfants connaissent les fables de La Fontaine. Il serait bon que les professeurs expliquent le lien entre Esope et La Fontaine, le Noir et le Blanc. Dire aux élèves que l’intelligence n’a pas de couleur, c’est éduquer contre le racisme avec sensibilité, intelligence et humour. »

La question de la représentation occupe une place de plus en plus importante dans le débat public et ce livre est un excellent moyen de se rappeler que, de tous temps, des hommes et des femmes noirs ont contribué à l’histoire universelle. 

Ces trois livres sont donc les premiers qui m’ont permis de me reconnecter à mon identité. Bien sur, depuis j’en ai lu d’autres comme Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon ou encore Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop dont j’ai déjà parlé. Je terminerais sur ces mots de Cheikh Anta Diop :

«  Ce qui est indispensable à un peuple pour mieux orienter son évolution, c’est de connaitre ses origines, quelles qu’elles soient. » 

Nations nègres et culture, Cheikh Anta Diop

Littérature caribéenne

Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon

Je suis noir, je réalise une fusion totale avec le monde, une compréhension sympathique de la terre, une perte de mon moi au coeur du cosmos, et le Blanc, quelque intelligent qu’il soit, ne saurait comprendre Armstrong et les chants du Congo. Si je suis noir, ce n’est pas à la suite d’une malédiction, mais c’est parce que, ayant tendu ma peau, j’ai pu capter toutes les effluves cosmiques. Je suis véritablement une goutte de soleil sous la terre.

page 43

Informations générales

  • Année de parution : 1952 
  • Genre : Essai 
  • Nombre de pages : 227

Résumé

A l’heure où l’on accuse souvent les intellectuels anti-racistes d’importer des théories en provenance des Etats-Unis, il est important de se rappeler que des personnalités françaises comme Frantz Fanon ont été de véritables précurseurs et ont influencé le monde entier à travers leurs thèses antiracistes et anticolonialistes. A ce propos, je vous encourage à écouter le podcast Le Paris Noir avec Mame-Fatou Niang qui explique avoir découvert Frantz Fanon lors de ses études aux Etats-Unis. En effet, bien que peu étudié en France, cet auteur est une véritable référence outre-atlantique.  

Peau noire, Masques Blancs s’inscrit ainsi dans la lutte contre le colonialisme et ses effets pervers. Le principal apport de cet essai est qu’il mêle la psychanalyse à l’analyse politique. Il décortique les rapports Noir-Blanc en tenant compte des effets de la colonisation et de l’esclavage. Selon lui, la colonisation est à l’origine d’une névrose collective dont il faut se débarrasser.

Ce livre fut très critiqué notamment par certains antillais car c’est avant tout ces derniers qui sont visés. Pourtant, force est de constater que les thèses qui y sont développées, vieilles de plus de cinquante ans, sont toujours d’actualité.

A travers son analyse scientifique, linguistique, psychanalytique et politique, accompagnée d’envolées poétiques magnifiques, Frantz Fanon nous met face à la réalité de la colonisation et de ses conséquences. 

Avis et analyse 

Je vous propose une analyse en trois temps qui, je l’espère, vous permettra de comprendre l’essence de cet essai. N’étant pas psychanalyste, je n’ai pas la prétention de vous proposer une critique des thèses de Fanon. Mon but est simplement de vous donner envie de lire cette oeuvre et de vous en présenter les principaux axes.

1. Analyse du problème : La domination d’un peuple sur un autre

Pour Fanon, il faut déjà commencer par admettre que nous évoluons dans une société raciste. 

« Une société est raciste ou ne l’est pas. Tant qu’on n’aura pas saisi cette évidence, on laissera de côté un grand nombre de problèmes. Dire, par exemple, que le nord de la France est plus raciste que le sud, que le racisme est l’oeuvre de subalternes, donc n’engage nullement l’élite, que la France est le pays le moins raciste du monde, est le fait d’hommes incapables de réfléchir correctement. » 

page 83

Aujourd’hui encore, certains refusent l’évidence. Beaucoup vous affirmerons que la France n’est en aucun cas un pays raciste et que d’ailleurs eux-mêmes ont des amis noirs avant de vous clouer le bec avec la fameuse formule magique « moi, je ne vois pas la couleur des gens ».  

L’auteur démontre que ce n’est pas uniquement la France mais que l’Europe a également une structure raciste, en raison principalement de son activité coloniale. Affirmer qu’une société a une structure raciste ne signifie pas que chacun de ces citoyens est un ignoble personnage plein de haine. Cela signifie simplement que cette société porte en elle les stigmates d’une partie de son histoire. On ne peut à la fois célébrer la grandeur de l’Europe et oublier que cette grandeur s’est construite sur l’exploitation d’autres peuples. 

Fanon se moque d’ailleurs de ceux qui s’obstinent à penser que la France serait le pays le moins raciste du monde : 

« Beaux nègres, réjouissez-vous d’être français, même si c’est un peu dur, car en Amérique vos congénères sont plus malheureux que vous … »

page 90 

Il est aussi assez révélateur de noter que la question des statues se posait déjà au sein de la réflexion de l’auteur. 

« Le Noir s’est contenté de remercier le Blanc, et la preuve brutale de ce fait se trouve dans le nombre imposant de statues disséminées en France et aux colonies, représentant la France blanche caressant la chevelure crépue de ce brave nègre dont on vient de briser les chaînes ». 

page 213 

Ceci étant posé, Fanon part d’un postulat très simple, à savoir que le racisme est une question de domination. 

« C’est un fait : des Blancs s’estiment supérieurs aux Noirs. C’est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs coûte que coûte la richesse de leur pensée, l’égale puissance de leur esprit. »

page 10 

C’est cette domination qui conduit certains blancs à adopter des attitudes paternalistes ou méprisantes envers les noirs et qui fait que certains noirs sont prêts à tout pour être validés et acceptés par les blancs. (Je précise et Fanon le dit clairement dans sa préface, il ne s’agit pas de faire des généralités en parlant de tous les noirs et de tous les blancs, il observe simplement des comportements répandus qui ont des effets néfastes pour tout le monde). 

2. Les conséquences : Le sentiment de supériorité et l’aliénation

La rencontre avec la civilisation blanche qui s’est faite dans les conditions que nous connaissons (esclavage, colonisation) a impacté durablement la vie des peuples noirs. 

« La civilisation blanche, la culture européenne ont imposé au Noir une déviation existentielle » 

page 14

Cette déviation se caractérise par ce que Fanon appelle un « complexus psycho-existentiel ». Plusieurs conséquences découlent de cela, notamment des comportements déviants comme le fétichisme ou la volonté de modifier qui l’on est. 

« Celui qui adore les nègres est aussi « malade » que celui qui les exècre. Inversement, le Noir qui veut blanchir sa race est aussi malheureux que celui qui prêche la haine du Blanc » 

page 9 

Cela s’illustre également à travers le langage. A l’époque de Fanon, certaines personnes s’adressaient aux noirs en petit-nègre (par exemple : « moi dire à toi de faire ça ») et d’autres étaient choqués de voir un noir s’exprimer correctement en français. Les éloges faites aux Noirs qui s’exprimaient normalement on poussé certains antillais à laisser tomber leur langue d’origine. S’il n’y a rien de mal dans le fait d’apprendre une langue, il est en revanche regrettable de renier ses origines. L’espagnol qui apprend le français n’a pas pour autant idée d’oublier sa langue maternelle. 

On retrouve encore des conséquences au sein des relations entre les hommes et les femmes. Je n’aborderai pas ici toute l’analyse proposée par l’auteur ayant trait à la question sexuelle. Je vous renvoie à son ouvrage pour comprendre la problématique de l’érotisation de l’homme noir ou encore le sentiment d’infériorité sexuelle qui amènerait à la détestation de ce dernier. 

Fanon illustre de manière brillante le désir de blancheur de certains noirs et l’impact que cela a sur leur relation. Il se montre ainsi très critique envers l’ouvrage de Mayotte Capécia, Je suis Martiniquaise (éditions Corrêa, 1948), qui fait l’apologie de l’homme blanc. 

« Mayotte aime un Blanc dont elle accepte tout. C’est le seigneur. Elle ne réclame rien, n’exige rien, sinon un peu de blancheur dans sa vie. » 

page 40

De la plume moqueuse de l’auteur ressort une véritable problématique qui sévit encore aujourd’hui au sein des sociétés antillaise : le colorisme. 

Le colorisme se définit comme une séries de discrimination fondée sur les variations d’intensité de la couleur de la peau des personnes. J’ai eu l’occasion de vous en parler dans mon article sur La rue Cases-Nègres de Joseph Zobel.

Aux Antilles, il est présent au sein du vocabulaire employé quotidiennement. Plusieurs expressions valorisent la clarté de la peau. Par exemple, un enfant à la peau claire sera appelé un « peau chapé », ce qui signifie que sa peau est sauvée car plus claire. Il existe aussi tout une classification allant de la chabine à la négresse pour définir les femmes en fonction de l’intensité de leur couleur. Fanon déplore cela et nous invite à lutter contre. 

Ce désir de blancheur est analysé par l’auteur comme une névrose entrainant une « lactification hallucinatoire ». Dans son métier de psychanalyste, Frantz Fanon a aidé de nombreux patients à prendre le dessus en conscientisant leur inconscient. 

En effet, il faut que les concernés prennent conscience qu’ils s’identifient aux personnes blanches. Cette identification est due en partie au fait que les Antillais se sont vus répétés pendant plusieurs années que leurs ancêtres étaient gaulois. Fanon démontre que l’Antillais ne se pense pas noir, il se pense blanc et prend conscience de sa noirceur quand il est confronté à diverses discriminations. 

3. La solution : libérer l’homme de couleur de lui-même

L’oeuvre de Frantz Fanon peut être analysée comme un refus, un refus de sa condition et de la place que la société veut lui assigner. 

« Pourtant de tout mon être, je refuse cette amputation. Je me sens une âme aussi vaste que le monde, véritablement une âme profonde comme la plus profonde des rivières, ma poitrine a une puissance d’expansion infinie. Je suis don et l’on me conseille l’humilité de l’infirme… » 

page 137 

L’auteur refuse que quiconque se laisse enfermer par sa couleur. 

« Le Blanc est enfermé dans sa blancheur. Le Noir dans sa noirceur. » 

page 10

« Il n’y a pas de mission nègre ; il n’y a pas de fardeau blanc. »  

page 222

Sans tomber dans l’aveuglement stupide de « ceux qui ne voient pas les couleurs », Frantz Fanon nous invite à dépasser cette question afin que chacun puisse se réaliser. 

« Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve. Le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc. » 

page 225 

Il plaide pour que les noirs et en particulier les antillais prennent conscience de leur névrose pour s’en libérer.

« Ce que nous voulons, c’est aider le Noir à se libérer de l’arsenal complexe qui a germé au sein de la situation coloniale. »

page 28 

Il appelle à une véritable « catharsis collective » qu’il définit comme « une sorte de porte de sortie par où les énergies accumulées sous forme d’agressivité puissent être libérées ». Page 143. 

Ce livre nous permet donc de comprendre d’un point de vue psychanalytique les effets que la colonisation a eu sur les noirs et invite à soigner les traumatismes qui en découlent. Ainsi, l’auteur offre à ses lecteurs de ne pas rester bloquer dans le passé et d’avancer tout en ayant conscience de l’impact de la colonisation sur leur vie.

« Je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères. » 

page 224 

L’auteur

Source : Site internet de France Info  ©DR

Frantz Fanon est né en 1925 à Fort-de-France. Psychiatre et essayiste, il est notamment connu pour son analyse des conséquences psychologiques de la colonisation. Très impliqué dans le conflit qui opposa la France à l’Algérie, il dirigea notamment l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville. Il décède en 1961 d’une leucémie à l’âge de 36 ans. 

Pour finir voici quelques anecdotes que je vous avais partagé sur Instagram !

Littérature caribéenne

Cinquante ans de musique et de culture en Guadeloupe, Marcel S. Mavounzy

Oui, le Guadeloupéen est d’origine africaine. C’est une évidence qu’il ne peut renier et ne renie pas. Vouloir lui interdire de perpétuer la culture musicale de ses grands-parents est impossible.

page 142

Informations générales

  • Année de parution : 2002
  • Genre : Mémoires
  • Nombre de pages : 230

Avis et analyse

Aujourd’hui, je vous présente un livre très intéressant pour apprendre à connaître la musique et la culture guadeloupéennes. J’ai souvent constaté que les gens parlaient des îles comme si elles étaient interchangeables et qu’elles n’avaient pas chacune leur propre culture.

Combien de fois on m’a déjà demandé si je retournais souvent en vacances en Martinique ou en Guyane alors même que je n’y ai jamais mis les pieds parce que je viens de Guadeloupe ! Loin de moi l’idée de renier les liens qui nous unissent, simplement chaque île, tout comme chaque pays ou chaque région a sa propre histoire et sa propre culture. 

Si certains en doutaient, je les invite à lire cet ouvrage, véritable plaidoyer pour la reconnaissance de la Guadeloupe comme précurseuse de nombreux style musicaux dont la célèbre biguine.

Je vous invite donc à vous laisser bercer au rythme du toumblak ou du kaladja, à vous déhancher sur une biguine et à fredonner le zandoli pas tini pattes, en plongeant dans cet ouvrage. 

Le toumblak et le kaladja font partie des sept rythmes du gwoka avec le graj, le padjanbèl, le woulé, le menndè et le léwòz. Il faut savoir que chaque rythme a sa propre signification. Ainsi, le toumblak est un rythme festif évoquant souvent l’amour alors que le kaladja est un rythme plus lent qui évoque la souffrance et la tristesse.

Le zandoli pas tini pattes est un rythme appelé boulaguél ou bouladjel qui consiste en une succession d’onomatopées et de battement de mains. Cette pratique est considérée par la France comme patrimoine culturel immatériel. Quant au gwoka, il a été inscrit en 2014 comme patrimoine culturel  immatériel de l’humanité !

La biguine est un style musical propre aux Antilles. Sur Wikipédia, vous lirez que la biguine est originaire de la Martinique mais cela n’est pas l’avis de Marcel S. Mavounzy qui démontre dans son ouvrage que la biguine est originaire de Guadeloupe. 

« Pourquoi veut-on priver la Guadeloupe du rythme de sa biguine qui est unique, indéchiffrable à première vue par les grands prix des conservatoires de musique dans le monde ? Rythme qui n’intéressait personne, dont d’autres pays de la Caraïbe tentent de nous priver de la paternité alors qu’il est le bien de la Guadeloupe et de ses musiciens » 

page 22 

Derrière l’histoire de la musique guadeloupéenne, se tisse celle de l’île et on mesure l’apport des esclaves et de leurs descendants à sa culture. Encore une fois, je suis impressionnée par la capacité de résilience de mon peuple, ces hommes et femmes arrachés à leurs terres, humiliés, torturés et qui pourtant n’ont jamais cessé de créer, notamment à travers la musique. 

Interdits de bals et de fêtes, ils ont créé leur propre musique et leur propre mode d’expression. Ils ont ainsi transformé la quadrille de leurs maitres, danse d’origine slave, en y introduisant un nouveau rythme plus tropical. 

« Les nègres sur le sol de la Guadeloupe, et particulièrement les serviteurs dans les différentes réceptions organisées par les colons blancs, n’avaient pas la possibilité d’organiser des fêtes. Mais presque en silence, ils faisaient revivre les rythmes de leurs terres natales. » 

page 21 

De nombreux obstacles se sont dressés devant eux. Ainsi, on tenta de leur faire abandonner le gwoka mais rien n’empêcha les guadeloupéens de faire vivre cette musique, véritable âme de la Guadeloupe. En effet, les maîtres l’interdisaient car ils avaient peur que le son du tam tam soit un signe de ralliement pour une éventuelle révolte d’esclaves. Ensuite, ce fut le clergé qui interdit cette musique. Mais des hommes et des femmes se sont battus pour leur culture, comme l’auteur du livre qui fut le premier à procéder aux enregistrements de musique guadeloupéenne sur disque phonographique. 

« Une grande partie des esclaves d’Afrique a été dirigée vers la Nouvelle-Orléans, la Caraïbe, etc. et malgré les voyages difficiles qu’ils ont eu à supporter, ils ont gardé en leur sang, en leur âme, en leur fierté, le résidu de leur culture : le tam-tam, bien spirituel et culturel. » 

page 23 

L’auteur nous raconte également la jeunesse antillaise des années 1930 et 1940. C’était une jeunesse créative et pleine d’espoir. De nombreux groupes de jeunes sont devenus célèbres et ont contribué à l’héritage culturel de l’île. D’ailleurs, en bonus, l’ouvrage regorge de nombreuses images d’archives !

Aujourd’hui encore notre culture est menacée par certaines personnes qui arrivent sur nos îles dans le seul but de vivre la dolce vita sur la plage en sirotant un ti punch sans même s’intéresser à notre héritage culturel et à notre histoire. Les récentes polémiques à propos de la voiture à pain dont le passage dérange certains nouveaux venus ou encore les festivités jugés trop bruyantes le démontrent bien. 

A l’image de l’auteur de ce livre, nous devons absolument défendre notre héritage culturel. Cela commence par connaitre son histoire et ceux qui y ont joué un rôle important. 

Enfin, ce livre m’a permis de découvrir le passé de la ville de Pointe-à-Pitre. D’environ 2 km2, cette petite ville m’a toujours intriguée. Quand j’étais au collège, à Massabielle, j’aimais aller manger une glace chez Fabienne Youyoutte à Coco Banane, récemment élue meilleur artisan de France, et flâner sur la place de la Victoire.

J’aimais aussi observer les doudous du marché aux épices et me perdre à la librairie Saint John Perse. Les joueurs de ka n’étaient jamais loin et il n’était pas rare de voir des personnes danser devant eux. J’adorais aussi aller au cinéma Rex et me plonger dans un univers lointain. 

Malgré tout cela, Pointe-à-Pitre me semblait quand même une ville dangereuse et pauvre et j’avais beaucoup de mal à imaginer son passé glorieux. Toutefois, grâce à ce livre j’ai réellement compris l’âme de cette ville, lieu de fêtes, de musiques et de création. 

J’y suis allée bien souvent mais je ne voyais pas, je ne voyais rien. Pourtant, j’aurais pu voir dans la poussière tourbillonnante des coins de rue, un reste de passé festif. J’aurais pu voir à travers les vitres des maisons abandonnées, l’ombre des danseurs virevoltant sur la piste de danse. J’aurais pu imaginer devant ces cases aux peinture usées, la splendeur des casinos de l’époque. J’aurais pu entendre les notes d’une biguine envoutante dans le souffle du vent.

Pour voir les choses différemment, il ne suffit pas toujours d’ouvrir les yeux mais surtout d’adopter un autre regard sur les choses. Pour cela, je vous invite à découvrir cet ouvrage, disponible chez Présence Africaine

L’auteur

Source : Site internet de Présence Africaine

Avant la lecture de ce livre, je ne connaissais pas du tout M. Marcel S. Mavounzy. Désormais, je suis réellement reconnaissante pour le travail qu’il a accompli pour sauvegarder et préserver la culture guadeloupéenne. Né en 1919 et frère du musicien Robert Mavounzy, il fut le premier à réaliser un enregistrement de disque phonographique aux Antilles françaises sur disque Emeraude.

En tant que producteur, il a aidé de nombreux artistes guadeloupéens à se lancer et à contribuer à diffuser la musique guadeloupéenne. Il fut récompensé par la médaille d’or des musiciens en 1997 et reçu l’Oscar Maître Ka en 1992. Ce grand homme s’est éteint en 2005 mais la Guadeloupe n’oubliera jamais son oeuvre.  

Essais

Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet

La sorcière surgit au crépuscule, alors que tout semble perdu. Elle est celle qui parvient à trouver des réserves d’espoir au coeur du désespoir.

Page 30

Informations générales

  • Année de parution : 2018 
  • Genre : Essai féministe
  • Nombre de pages : 231

Analyse

Mona Chollet nous raconte l’histoire des chasses aux sorcières et analyse leur impact sur la place de la femme dans nos sociétés actuelles. Elle démontre que les chasses aux sorcières furent en réalité une chasse aux femmes libres et indépendantes et nous fait prendre conscience des conséquences de ces sombres épisodes sur notre perception de la femme. 

En achetant ce livre, je ne m’attendais pas à une telle remise en question. Je me suis rendue compte que j’avais encore beaucoup à apprendre sur le féminisme et que nombre de mes pensées étaient orientées par une conception de la femme façonnée par la société. 

Fascinée depuis petite par l’image de la sorcière, j’ai longtemps été persuadée que ma grand mère en était une (je reste persuadée de l’avoir vu s’envoler sur son aspirateur, ne me demandez pas pourquoi) et ceux qui lisent ce blog savent que je suis une grande fan de la saga Harry Potter. C’est donc tout naturellement que j’avais hâte de lire cet essai. 

Je souhaitais en effet en apprendre davantage sur la figure historique de la sorcière mais je ne m’attendais pas à ce que ce livre m’apporte autant. 

Une chasse aux femmes libres et indépendantes 

On a tous plus ou moins entendu parler des chasses aux sorcières. De Jeanne d’arc aux sorcières de Salem, de nombreuses femmes connurent les flammes du bûcher. Ce que l’on sait moins, c’est l’ampleur de ces chasses et le climat de terreur qui régnait sur les femmes à cette époque. 

« Plus largement, cependant, toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseurs de sorcières. Répondre à un voisin, parler haut, avoir un fort caractère ou une sexualité un peu trop libre, être une gêneuse d’une quelconque manière suffisait à vous mettre en danger. »

page 17 

Pendant plusieurs siècles on a accusé les femmes d’être porteuses du mal. Toute absence de soumission de leur part pouvait entraîner la mort. Je pensais que ces chasses dataient du Moyen Âge alors que la plupart des grandes chasses se sont déroulées à la Renaissance et qu’il y eut des exécutions jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. 

« La mise en scène publique des supplices, puissant instrument de terreur et de discipline collective, leur intimait de se montrer discrètes, dociles, soumises, de ne pas faire de vagues. En outre, elles ont du acquérir d’une manière ou d’une autre la conviction qu’elles incarnaient le mal ; elles ont dû se persuader de leur culpabilité et de leur noirceur fondamentales. » 

page 23 

Cette volonté d’écraser, d’asservir et de bâillonner les femmes a encore des conséquences de nos jours. 

« En anéantissant parfois des familles entières, en faisant régner la terreur, en réprimant sans pitié certains comportements et certaines pratiques considérées comme intolérables, les chasses aux sorcières ont contribué à façonner le monde qui est le nôtre. Si elles n’avaient pas eu lieu, nous vivrons probablement dans des sociétés très différentes. » 

page 13

Les conséquences sur notre vision actuelle de la femme 

Même si de nos jours, on ne brûle plus les femmes sur des bûchers (ce qui n’empêche pas les féminicides, violences sexuelles, violences physiques et morales, discriminations et autres amabilités), la figure de la sorcière reste omniprésente. 

« Une femme sûre d’elle, qui affirme ses opinions, ses désirs et ses refus, passe très vite pour une harpie, une mégère, à la fois aux yeux de son conjoint et aux yeux de son entourage. » 

page 154

Il n’est d’ailleurs pas rare de traiter une femme peu appréciée de « sorcière ». Il est aussi fréquent de  brandir la menace de « la vieille fille à chat » aux femmes célibataires. De même, une femme qui ose exprimer ses opinions haut et fort sera vite affublée du qualificatif d’ « hystérique ». Le spectre de la sorcière, femme folle ayant pour seul compagnie son fidèle chat noir, transparaît clairement derrière ces accusations. 

Ce rejet des sorcières explique que la vieillesse des femmes soit si mal vécue dans nos sociétés. La jeunesse est sans cesse valorisée et l’industrie cosmétique gagne des milliards en vendant des promesses anti-âge, qui ne sont ni plus ni moins que les nouvelles potions magiques promettant une jeunesse éternelle. Jeune, la femme doit se montrer douce et docile, vieille elle est écartée de l’espace public. L’auteure nous interroge : et si la peur des vieilles femmes masquait en réalité une peur des femmes d’expérience ? 

«  Des siècles de haine et d’obscurantisme semblent avoir culminé dans ce déchainement de violence, né d’une peur devant la place grandissante que les femmes occupaient alors dans l’espace social. »

page 20

Mona Chollet dénonce également le contrôle exercé par la société sur le corps de la femme. Si le culte de la jeunesse domine, il n’a pas les mêmes conséquences sur les hommes et les femmes. L’exemple qu’elle cite à propos des cheveux blancs est assez révélateur. En effet, on valorise les hommes aux cheveux dits « poivre et sel » et on a aucun mal à les considérer comme séduisants. En revanche, une femme portant des cheveux blancs sera considérée comme négligée et sera fortement incitée à les teindre.  

Cela m’a rappelé les diverses injonctions sur les tenues vestimentaires des femmes. Trop couvertes, elles sont des femmes soumises qui font du prosélytisme ou des femmes coincées qui ne savent pas se mettre en valeur. Pas assez couvertes, elles sont sommées de porter une « tenue républicaine ». Seins nus sur la plage, elles portent atteinte à la pudeur. Couvertes d’un burkini, elles portent atteinte à la laïcité. Je n’ai jamais entendu pareilles injonctions concernant la tenue des hommes. Pourquoi la société est-elle si obsédée par le contrôle des femmes jusqu’à contrôler leur manière de s’habiller ?

Un autre aspect du contrôle du corps des femmes s’illustre tristement par les diverses violences gynécologiques qui sont longuement abordées par l’auteure. Enfin, il y a aussi une réflexion intéressante sur l’analogie entre le contrôle du corps de la femme avec celui de la nature que je vous laisse découvrir au chapitre 4 intitulé « Mettre ce monde cul par-dessus tête. Guerre à la nature, guerre aux femmes ». 

La réappropriation de l’image de la sorcière

L’auteure se plait à imaginer un monde dans lequel les femmes n’auraient pas été brimées, un monde dans lequel elles auraient pu exprimer tout leur potentiel. 

A titre d’exemple, beaucoup de femmes accusées de sorcellerie étaient en réalité des guérisseuses et de véritables précurseuses en médecine, alors même que, bien souvent, les professions médicales leur étaient interdites. 

« Ce furent les sorcières qui développèrent une compréhension approfondie des os et des muscles, des plantes et des médicaments, alors que les médecins tiraient encore leur diagnostics de l’astrologie. » 

pages 217-218

Evidement, leur travail a été bien souvent approprié par des hommes. Cela m’a fait beaucoup réfléchir car j’ai souvent entendu parler des « grands hommes » et, à part Marie Curie, l’école ne nous parle pas vraiment de l’apport des femmes dans nos sociétés. De même, les noms des rues mettent rarement à l’honneur des femmes. 

« Les associer au Diable signifiait qu’elles avaient outrepassé le domaine auquel elles étaient censées se cantonner, et empiété sur les prérogatives masculines. » 

page 218

Ces tentatives d’empêcher les femmes de s’élever et d’effacer leur rôle dans la société sont maintenant dénoncées. Ainsi, différents mouvements féministes n’hésitent pas à se réapproprier l’image de la sorcière en tant que symbole de la puissance des femmes. 

L’auteur


Photo du site Revue Ballast

Née en 1973, Mona Chollet est une journaliste et actrice suisse. Elle est connue pour ses essais féministes. Elle commença sa carrière en tant que pigiste chez Charlie Hebdo puis quitta le journal après un désaccord avec le directeur de la rédaction. Elle est actuellement cheffe de la rédaction au Monde diplomatique.

Lectures diverses

Harry Potter est-elle une oeuvre problématique ?

It matters not what someone is born, but what they grow to be.

Harry Potter and the goblet of fire, J.K. Rowling, page 614-615
*Ce qui compte, ce n’est pas la naissance mais ce que l’on devient, Harry Potter et la coupe de feu, page 739

Depuis que J.K.Rowling est accusée de transphobie, de nombreuses critiques sont émises sur son oeuvre. Ainsi, certains accusent l’oeuvre de manquer de diversité, ou encore d’être une saga antisémite faisant l’apologie de l’esclavage

Prônant la lutte contre le racisme et toute autre forme de discrimination, ces accusations n’ont pas manqué d’attirer mon attention. 

Cet article ne porte pas sur les propos tenus par l’auteure mais simplement sur les critiques concernant le contenu de son oeuvre. En effet, ces accusations sont suffisamment graves pour qu’on se replonge notre saga d’enfance afin d’y trouver quelques réponses. 

Un manque de diversité ? 

Je commence par un sujet qui me tient à coeur, à savoir la représentativité. Tout d’abord, il convient de faire la différence entre les films et les livres. En effet, si on s’en tient uniquement aux adaptations cinématographiques, la grande majorité des personnages sont effectivement blancs ou même deviennent blancs. Cela fut le cas du personnage de Lavande Brown qui était interprétée par les actrices noires Kathleen Cauley (Harry Potter et la Chambre des secrets) et Jennifer Smith (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban) avant d’être interprétée par Jessie Cave lorsque le personnage prend de l’importance, ce qui est assez regrettable. En revanche, dans les livres, l’auteure ne précise pas la couleur de peau de Lavande. 

Elle ne se prononce pas non plus sur le personnage d’Hermione même si quelques indices auraient pu nous faire penser qu’il s’agit d’une jeune fille noire (ses cheveux frisés par exemple). C’est d’ailleurs une actrice noire, Noma Dumezweni, qui l’interprète dans la pièce Harry Potter et l’enfant maudit.

A l’exception de ces deux personnages où le doute est permis, la saga contient de nombreux personnages racisés auxquels beaucoup peuvent s’identifier. Loin des clichés, la description de leur caractère est très satisfaisante, d’autant plus que la saga a été écrite dans les années 90 à une époque où la question de la représentativité n’était pas autant d’actualité. 

Il y a par exemple le charismatique Kingsley Shacklebolt, un sorcier très respecté qui deviendra même Ministre de la Magie. A t’on besoin de rappeler qu’à part Barack Obama, aucun homme noir n’a été à la tête d’un pays occidental. Nommer Kingsley Ministre de la Magie et donc à la tête du monde des sorciers britannique est un choix engagé de la part de l’auteure. 

Il y a aussi le courageux et fidèle Dean Thomas qui participa à la bataille de Poudlard ou encore Lee Jordan, membre actif de la résistance notamment avec la radio Potterveille qui lutta contre le régime mis en place par Voldemort. Même s’il n’est pas très sympathique, Blaise Zabini, décrit comme un grand jeune homme noir avec des yeux en amande, a fait rêver pas mal de filles (et de garçons).

Angelina Johnson peut aussi être admirée. Très bonne joueuse de Quidditch, elle devint capitaine de l’équipe de Gryffondor. Elle participa également à la bataille de Poudlard et épousa George Weasley avec qui elle eu deux enfants.

On retrouve aussi les soeurs Patil, très présentes dans les livres, ou encore Cho Chang une fille intelligente et douée en Quidditch (qui, comme tous les personnages, a aussi ses défauts). Si le choix de son nom aurait pu être différent, on ne retrouve pas de clichés racistes dans la description du caractère de son personnage. 

J’en ai déjà parlé ici, mais ce sont les divers personnages qui font la force de la saga Harry Potter. C’est assez appréciable de lire une oeuvre contenant autant de diversité sans être dérangé par quelconque clichés racistes. On aime les personnages pour leur caractère propre, pour leur humour, leur courage, leur loyauté, leur intelligence et ils sont pour beaucoup de lecteurs une source d’inspiration. 

Le cas d’Hermione est intéressant car le fait de ne pas avoir précisé sa couleur de peau tout en lui donnant des caractéristiques qui peuvent être à la fois celles d’une jeune fille blanche ou celle d’une jeune fille noire permet à beaucoup de petites filles de s’identifier à son personnage. 

Enfin, ce n’est pas non plus anodin que l’un des personnages les plus importants de la saga ait été amoureux d’une personne du même sexe. Si la saga n’est pas centrée sur les histoires de coeur de Dumbledore, cela est quand même un acte fort d’en avoir fait un personnage homosexuel. Certains regrettent que cette histoire n’ait pas été abordée plus profondément dans les livres mais il faut rappeler que Harry Potter n’est pas une histoire d’amour mais avant tout une saga héroïque. De plus, la romance entre Dumbledore et Grindelwald est abordée dans les films Les Animaux Fantastiques

Ainsi, vous l’aurez compris, pour moi, et ce n’est que mon avis, les livres ne manquent pas de diversité et j’ai été heureuse lorsque j’étais petite de lire une histoire aussi incroyable avec des personnages qui me ressemblent.

Une saga antisémite ?  

Je dois avouer ne pas avoir tout de suite compris la portée de cette accusation car la religion n’est jamais abordée dans les livres. Cependant, j’ai constaté que certains se sont offusqués en clamant que les Gobelins seraient une caricature antisémite des personnes juives. Les arguments avancés par ceux qui exposent cette théorie reposent sur le fait que les Gobelins ont « le nez crochu » et qu’ils contrôlent les banques et les finances du monde des sorciers. 

Alors, comment vous dire que je n’avais jamais fait un tel rapprochement. J’ai plutôt l’impression que c’est la comparaison faite par ceux qui formulent de telles accusations qui est antisémite. A quel moment peut-on faire un rapprochement entre des gobelins, créatures non humaines, et des êtres humains de confession juive ?D’autant plus que le fil conducteur de la saga peut-être comparée à la lutte contre le régime nazi. 

Tout d’abord, Voldemort présente des similitudes importantes avec Adolf Hitler. Il est obsédé par la pureté du sang des sorciers alors que lui-même est un sang mêlé, tout comme Hitler était obsédé par la race aryenne alors même qu’il aurait eu des origines juives. De plus, Voldemort n’est autre que le descendant de Salazar Serpentard dont les initiales renvoient au tristement célèbre corps des SS formé par Hitler. 

Ensuite, la prise de pouvoir de Voldemort s’accompagne de la mise en place d’un régime autoritaire proche du régime nazi. En effet, ce régime repose sur la supériorité d’une catégorie de personne, les sorciers au sang-pur, par rapport aux sorciers nés-moldus. On retrouve donc la notion de supériorité de la race revendiquée par le nazisme. 

Même si les prérogatives du Ministère de la Magie ont toujours été un peu floues au long de la saga (intervention du Ministère dans l’administration de Poudlard avec Dolores Ombrage et contrôle de la presse notamment de la Gazette du Sorcier), le pouvoir de ce dernier devient sans limite sous le règne de Voldemort. 

Les moldus, tout comme le furent les juifs et autres minorités sous le régime nazi, sont la cible du pouvoir en place. Une propagande anti-moldus est instaurée avec par exemple la brochure intitulée « Les Sang-de-Bourbe et les dangers qu’ils représentent pour une société de Sang-Pur désireux de vivre en paix ». Objet d’une véritable persécution, ils sont expulsés de Poudlard, accusés de voler le pouvoir des sorciers et forcés de prendre la fuite. 

De même, la « Commission d’enregistrement des né-moldus » dirigée par Ombrage ne manque pas de rappeler le fichage des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Après un interrogatoire, les sorciers nés-moldus sont privés de leur baguette et envoyés à Azkaban. 

Il y a aussi les raffleurs, sorciers chargés de traquer et de capturer les moldus, qui font penser aux kapos. Ces derniers étaient recrutés parmi les prisonniers de droit commun les plus violents pour encadrer les prisonniers des camps de concentration nazis. 

On peut aussi citer le symbole de la marque des ténèbres, emblème du régime de Voldemort comme la croix gammée était celle du régime d’Hitler. De même, la statue qui remplace la Fontaine de la Fraternité Magique au Ministère de la Magie, représente bien l’esprit de ce régime totalitaire. Nommée La Magie est Puissance, elle représente en effet un couple de sorcier à l’air hautain assis sur un trône fait de corps de Moldus. 

Source : Pottermore

Enfin, face à ce régime, une véritable résistance se met en place avec pour héros le personnage d’Harry Potter. On trouve encore des similitudes avec la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, un des moyens de communication des résistants est la radio et notamment la radio Potterveille qui peut faire penser à la célèbre Radio Londres. Tout comme les résistants au régime Nazi, les ennemis de Voldemort se regroupent dans des organisations comme L’Armée de Dumbledore ou L’Ordre du Phénix

Pourquoi l’auteure aurait dénoncé un tel régime dans son oeuvre si elle voulait propager une idéologie antisémite ? Cela n’a tout simplement aucun sens. 

Une apologie de l’esclavage ? 

Enfin, terminons avec l’accusation d’apologie de l’esclavage. En effet, certains remettent en cause l’attitude des elfes de maison qui semblent plutôt bien s’accommoder de leur sort. Il est vrai que ces derniers ne semblent pas vouloir se rebeller et que Dobby fait figure d’exception. La présentation qui est faite dans les livres de ces esclaves qui, pour certains, aiment leur statut comme l’elfe Winky peut tout à fait choquer.

Cependant, encore une fois, il y a une véritable critique dans les livres. Ainsi, la cruauté de la famille Malefoy envers Dobby se retourne contre elle puisque Dobby est celui qui sauve Harry de leur manoir. De même, le combat mené par Hermione est à saluer. Avec son association « la Société d’Aide à la Libération des Elfes« , elle s’est battue pour éveiller les consciences sur le sort des elfes de maison.

Il n’y a donc pas d’apologie de l’esclavage mais bien une dénonciation de la privation de liberté de certains êtres. Aucun lien ne peut être fait ici avec la traite négrière car les conditions sont bien différentes : il n’y pas eu de rapt et de déportation et les elfes ne se sont pas rebellés pour leur liberté comme l’on fait les esclaves. J.K.Rowling montre que le statut des elfes est inacceptable et doit être remis en cause. Dans une société qui semble peu soucieuse de leur sort, elle fait intervenir Hermione, elle-même victime de la discrimination anti-moldus, pour changer les mentalités.

En conclusion, on peut ne pas être d’accord avec les propos que l’auteure a tenu sans pour autant chercher à discréditer son oeuvre. Chacun a son opinion sur la fameuse question de savoir s’il faut séparer l’oeuvre de l’auteur mais on ne peut nier que la saga Harry Potter prône des valeurs dans lesquelles un grand nombre de personnes peuvent se reconnaître. Les valeurs de Poudlard sont la tolérance, le courage, l’amitié, l’amour et l’acceptation. C’est la raison du succès international de la saga. Chacun peut se sentir le bienvenu dans cet univers.

Que les propos de J.K.Rowling aient choqué est un fait, cependant, l’univers qu’elle a créé est en dehors de la polémique. Il faut sans cesse dénoncer le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie et toute forme de discrimination mais il ne faut pas banaliser ou ridiculiser ces luttes en attaquant une oeuvre à tort.

Essais

Why I’m no longer talking to white people about race, Reni Eddo-Lodge

Anger is useful. Use it for good. Support those in the struggle, rather than spending too much time pitying yourself. 1

Page 221

Informations générales

  • Année de parution : 2017 – 2018 
  • Genre : Essai anti-raciste 
  • Nombre de pages : 255

Comme je l’ai lu en VO, j’ai traduit librement les citations à la fin de l’article. Elles sont surement mieux formulées dans la version française « Le racisme est un problème de blancs ». 

Analyse

Le contexte

Aujourd’hui, la France, telle une princesse endormie, semble se réveiller brusquement et découvrir l’existence du racisme sur son territoire. 

Pendant longtemps, elle s’est drapée les yeux de son universalisme et pointait du doigt la folie des autres pour se dédouaner. 

Pourtant, le racisme est bien présent dans notre pays. S’il s’exprime de manière différente selon les régions du monde, on ne peut cependant nier son existence. 

Il est vrai qu’à l’école, on apprend très peu de choses sur le sujet ainsi que sur l’histoire du peuple noir. La première fois qu’on entend parler de l’Afrique en classe d’histoire, c’est pour parler de l’esclavage. Bien souvent, cette histoire est présentée très sommairement en insistant sur le fait que les Africains auraient vendus leurs compatriotes en échange de quelques coquillages. Ensuite, vient la leçon sur la Colonisation qui vante les éloges des « bienfaiteurs » européens qui ont construit des routes et des hôpitaux. 

Il est très difficile de déconstruire cette image du Blanc sauveur et du Non-Blanc sauvage qu’il faut civiliser.  Ce sont ces préjugés qui prédominent dans l’inconscient de nos sociétés. C’est pourquoi, la lecture est essentielle pour comprendre ce qu’est réellement le racisme. Ici, la lecture permet non pas de construire mais de déconstruire des préjugés. 

J’ai beau être antillaise et descendante d’esclave, j’ai longtemps imaginé l’Afrique noire comme une vaste terre de misère sans réelle histoire. C’est la lecture de certains ouvrages, comme Nations Nègres et Culture, qui m’a permis d’ouvrir les yeux et c’est l’une des principales raisons pour laquelle je me suis lancée dans l’aventure bookstagram et dans la création d’un blog littéraire. 

Beaucoup de livres permettent de comprendre la problématique du racisme, comme Mille Petits Riens, et aujourd’hui j’ai choisi de vous présenter l’ouvrage de Reni Eddo-Lodge qui aborde la problématique raciale au Royaume-Uni et qui présente des similitudes avec la situation française. 

Un titre qui fait réagir

Vous l’aurez remarqué, le titre du livre en VO est assez provocateur. Je vous avoue que c’est le titre en premier lieu qui m’a intriguée et poussée à découvrir l’oeuvre. Une certaine lassitude ressort de ce titre et inscrit ce livre comme une véritable thérapie pour ceux qui sont fatigués de parler avec des personnes qui refusent de voir le problème.

« I stop talking to white people about race because I don’t think giving up is a sign of weakness. Sometimes it’s about self-preservation. »2

Préface, page 15

Si le titre peut laisser penser à certains qu’ils ne sont plus invités à la discussion, cet essai propose en réalité un véritable dialogue rendu possible par l’abandon de certains préjugés. En effet, ce livre est LA discussion qu’il faut avoir sur le racisme.

La traduction française du titre est « Le racisme est un problème de blancs », ce qui est regrettable car on perd une partie de l’essence du message de l’auteur. C’est pour ce genre de traduction/réécriture que je préfère lire les versions originales quand je le peux.

Ce qu’elle met en lumière c’est le fait qu’il est difficile d’avoir ce genre de discussion avec des personnes blanches car elles peuvent se sentir attaquées, blessées ou mal à l’aise. Les personnes victimes de discrimination se retrouvent donc dans l’incapacité de dénoncer ce qui leur arrive au sein d’une société qui leur rappelle sans cesse qu’elles n’ont pas à se plaindre.

Un système à déconstruire

L’essai retrace l’histoire du Royaume-Uni sous l’angle de ses rapports avec les populations noires, ce qui permet de comprendre les liens complexes actuels. 

Il aborde aussi plusieurs points intéressants comme les relations des noirs avec la police du Royaume-Uni (spoiler alert : oui, il y a des violences policières) ou encore le rôle ambigu du féminisme lorsqu’il s’agit de prendre en compte les problématiques propres aux femmes noires. 

Mais c’est surtout une lecture essentielle pour comprendre le racisme structurel. L’auteur explique qu’il s’agit d’un système pensé uniquement pour les personnes blanches dans lequel les autres trouvent difficilement leur place. 

Ce n’est pas tant une question de préjugés personnels mais plutôt d’un ensemble de préjugés collectivement admis au sein d’une société. C’est ce racisme qui a un impact direct sur les chances de réussite et même de survie des personnes qui en sont victimes.

Cette définition s’applique également en France. Même si les statistiques ethniques ne sont pas officiellement reconnues, on peut aisément voir que les chances de réussite d’un jeune élève noir de banlieue parisienne sont bien moins élevées que celles d’un élève blanc d’un lycée parisien. Et même lorsque cet élève noir intègre une grande école, ses chances de trouver un emploi sont nettement diminuées par rapport à son camarade blanc. Le racisme c’est aussi et surtout une question de comprendre qui détient le pouvoir et qui souhaite le garder. 

« We tell ourselves that racism is about moral values, when instead it is about the survival strategy of systemic power »3

page 64

Reni Eddo-Lodge met ainsi toute une société face à ses contradictions. Pour revenir à la question des statistiques ethniques et des quotas, que l’on se pose actuellement en France, elle s’interroge sur le fait que les quotas soient si facilement acceptés quand il s’agit de dénoncer l’inégalité homme/femme alors qu’ils sont fortement critiqués concernant la lutte contre le racisme. Elle aborde également la thématique du privilège blanc qui fait également beaucoup parler aujourd’hui. 

« White privilege is one of the reasons why I stopped talking to white people about race. Trying to convince stony faces of disbelief has never appealed to me. The idea of white privilege forces white people who aren’t actively racist to confront their own complicity in its continuing existence »4

page 87

Je vous renvoie au livre pour comprendre ce qu’est vraiment le privilège blanc si vous ne savez pas de quoi il s’agit car l’auteur l’explique à merveille. Il ne s’agit pas tant d’avoir une vie aisée à l’abri de toute difficulté. Il s’agit de vivre dans un monde qui est pensé et fait uniquement pour vous. Un monde où vous n’avez pas peur de subir un contrôle au faciès qui peut entraîner des violences policières. Un monde où vous n’avez pas à vous soucier de vous voir refuser un logement ou un emploi en raison de votre nom ou de votre apparence. 

« Who really wants to be alerted to a structural system that benefits them at the expense of others? »5

Préface, page 11 

L’auteure bouscule ceux et celles qui ferment les yeux sur ce système au motif qu’ils ou elles « ne voient pas la couleur des gens ». 

« Not seeing race does little to deconstruct racist structures or materially improve the conditions which people of color are subject to daily. In order to dismantle unjust, racist structures, we must see race. »6  

page 84

Enfin, après avoir dénoncer tout cela, elle incite le lecteur à déconstruire le système actuel afin de créer un monde dans lequel chacun aurait sa place. 

« I don’t want to be included. Instead, I want to question who created the standard in the first place. After a lifetime of embodying difference, I have no desire to be equal. I want to deconstruct the structural power of a system that marked me out as different »7

page 184 

L’auteur


Photo du FESTIVAL METROPOLIS BLEU

Née en 1989 à Londres d’une mère nigériane, Reni Eddo-Lodge est une journaliste et auteure britannique qui écrit sur le féminisme et sur le racisme structurel. Elle écrit notamment pour le New York Times, The Guardian ou encore The Daily Telegraph.

A l’âge de quatre ans, elle demanda à sa mère quand est-ce qu’elle allait devenir blanche, ce qui lui fit réaliser qu’il y avait un problème de représentation dans la société. Avant d’être un livre, Why I’m No Longer Talking to White People About Race était un article qu’elle a publié sur son blog en 2014 et qui est devenu viral. 

Traduction libre

  1. La colère est utile. Utilisez-la pour le bien. Soutenez ceux qui luttent, plutôt que de passer trop de temps à vous apitoyer sur votre sort.
  2. J’ai arrêté de discuter de race avec les Blancs car je ne considère pas l’abandon comme un signe de faiblesse. Parfois, il s’agit de se préserver.
  3. Nous nous disons que le racisme est une question de valeurs morales, alors qu’il s’agit plutôt de la stratégie de survie du pouvoir systémique.
  4. Le privilège blanc est l’une des raisons pour lesquelles j’ai cessé de parler de race avec les Blancs. Essayer de convaincre des visages fermés et incrédules ne m’a jamais plu. L’idée du privilège blanc oblige les Blancs qui ne sont pas activement racistes à affronter leur propre complicité dans l’existence continue du racisme.
  5. Qui voudrait vraiment être averti d’un système structurel qui lui profite au détriment des autres ?
  6. Ne pas voir la race ne contribue guère à déconstruire les structures racistes ou à améliorer matériellement les conditions auxquelles les personnes de couleur sont soumises quotidiennement. Afin de démanteler les structures racistes et injustes, nous devons voir la race.
  7. Je ne veux pas être inclus. Je veux plutôt me demander qui a créé la norme en premier lieu. Après une vie passée à incarner la différence, je n’ai aucun désir d’être égale. Je veux déconstruire le pouvoir structurel d’un système qui m’a marqué comme étant différente.

Lectures diverses

La symbolique des noms des personnages de la saga Harry Potter

La peur d’un nom ne fait qu’accroître la peur de la chose elle-même.

Harry Potter à l’école des sorciers, J.K. Rowling, page 291

Si vous ne vivez pas dans une grotte depuis plus d’une vingtaine d’années, vous avez forcément déjà entendu parler de la saga Harry Potter. Outre l’histoire merveilleusement bien ficelée, la magie opère également grâce à l’attention que J.K. Rowling a porté à de nombreux détails, et notamment à l’appellation de ses personnages.

Il faut bien admettre que les personnages de la saga sont l’une des raisons de son succès. Rarement, des personnages fictifs n’ont semblé si réels. Chacun a sa propre histoire et son propre caractère et il est possible d’en apprendre davantage sur eux en dehors des romans car l’auteure distille très souvent des informations sur leur passé, leurs habitudes ou sur ce qu’ils sont devenus après la bataille de Poudlard. 

Vous avez d’ailleurs sûrement vos personnages préférés et d’autres que vous détestez (coucou Ombrage) mais vous êtes-vous déjà intéressé à la symbolique de leur nom ? 

Beaucoup de choses ont inspiré J.K. Rowling pendant l’écriture de ses romans. Ainsi, elle avait pour habitude de se promener au cimetière de Greyfriars d’Edimbourg et s’est inspirée de certains noms sur les pierres tombales. J’ai eu la chance de visiter ces lieux et d’y découvrir la tombe de Voldemort en personne ! Ou plutôt celle d’un certain Tomas Riddell, un inconnu devenu célèbre, dont la tombe est visitée chaque jour par de nombreux moldus. Dans ce cimetière, on trouve aussi les tombes d’un certain William McGonagall ou encore une stèle de la famille Potter. 

Mises à part ces balades entre les tombes, vous avez surement remarqué que les prénoms des personnages de la saga ont souvent des points communs. Par exemple, on retrouve de nombreux noms d’étoiles (Sirius, Bellatrix), ou de fleurs (Lily, Pétunia), ou encore tirés de la mythologie (Minerva, Pomona). Vous avez aussi sans doute remarqué les influences de la langue française, que J.K. Rowling connait bien pour avoir donné des cours d’anglais à la Sorbonne.

Je vous propose donc une analyse des noms et prénoms de nos chers sorciers. Cependant, si vous n’avez pas lu les romans ou vu les films, je vous déconseille de poursuivre la lecture de cet article au risque de vous dévoiler quelques éléments importants de l’intrigue. 

Des familles unies par les prénoms de leurs membres

Les membres d’une même famille ne sont pas seulement liés par leur couleur de cheveux ou par leurs activités douteuses en lien avec Vous-Savez-Qui mais également par la cohésion de leurs prénoms. 

Ainsi, même si les Black s’évertuent à renier les membres de leur famille qui ne partagent pas leurs idées et même si Sirius a tout fait pour s’éloigner d’eux, ils restent unis par leur prénom. C’est peut être même le seul point commun entre Sirius et sa cousine Bellatrix. 

Source : https://www.encyclopedie-hp.org

Sirius est, en effet, le nom de l’étoile la plus brillante du ciel, après le soleil, située dans la constellation du Grand Chien. Or, comme vous le savez, Sirius Black a la particularité de pouvoir prendre l’apparence d’un grand chien noir. Ainsi, on pouvait presque deviner que Sirius était un animagus à la lecture de son nom et de son prénom. 

La constellation du Grand Chien est située a côté de la constellation d’Orion et représente le chien de ce dernier dans la mythologie grecque. Ce n’est donc pas un hasard si le père de Sirius s’appelle Orion Black

Quant à Bellatrix, c’est également le nom d’une étoile très brillante de la constellation d’Orion. Ce nom provient du latin et signifie « la guerrière », ce qui lui correspond plutôt bien. 

Régulus, le frère de Sirius porte le nom d’une étoile de la constellation du Lion, qui signifie « petit roi » en latin. C’était en effet, le fils préféré de Walburga, même s’il semble s’être rangé du côté lumineux de la force avant sa mort. 

Parmi les nombreux membres de la famille Black, on trouve encore d’autres noms d’étoiles ou de constellations tels que Cygnus, Arcturus, Pollux, Cassiopeia, Andromeda (la mère de Tonks). C’est donc en observant la nuit étoilée que J.K. Rowling a trouvé les prénoms des membres de la famille Black. 

La famille Malefoy, qui ne brille pas pour sa bonne foi, est affiliée à la famille Black par la mère Narcissa dont le nom provient du mythe de Narcisse, dans la mythologie grecque. Un prénom qui lui va donc très bien car elle se sent supérieure à ceux qui n’ont pas le sang pur. Quant à Drago (Draco en VO), il renvoie également au nom d’une constellation (la constellation du Dragon), tout comme son fils Scorpius (la constellation du Scorpion). 

Lucius, le père, a un prénom qui peut faire penser à Lucifer. Ce prénom lui va plutôt bien en raison des activités qu’il pratique en tant que Mangemort. Ce qui est intéressant, c’est que c’est également le prénom de l’empereur romain ennemi du roi Arthur, et comme vous le savez, ce n’est pas l’amour fou entre Lucius Malefoy et Arthur Weasley.

Concernant les Weasley, leur nom de famille fait référence à de petits mammifères proches des belettes (weasel en anglais). Selon J.K. Rowling elle-même, ces petits mammifères ont une réputation de nuisibles mais elle les a toujours adoré et elle affirme qu’ils sont moins mauvais que les gens ne le sont à leur égard. Les Weasley ne sont en effet pas toujours bien vu dans le monde des sorciers en raison de leur condition sociale et de leur grande tolérance envers les moldus. 

Paradoxalement à leur milieu social, les Weasley portent des prénoms en lien avec la royauté. On trouve ainsi des références à la légende du roi Arthur avec le père Arthur Weasley, la cadette Ginevra (surnommée Ginny), qui renvoi au prénom Guenièvre qui était la reine du royaume de Camelot et l’un des fils, Percy, diminutif de Perceval, un des chevaliers de la table ronde. Quant à Ronald, il est surnommé Ron, comme le nom porté par la lance du roi Arthur dans la légende. 

William (surnommée Bill) et Charles (surnommée Charly) sont des noms portés par de nombreux rois anglais. Quant à Fred et George, leur destin présente des similitudes avec ceux du roi George III, roi du Royaume Uni au XVIIIe s., qui était à moitié sourd et de son frère Fréderick décédé alors qu’il était adolescent. 

Si certains prénoms ne renvoient pas à une signification particulière, comme celui de son héros, Harry, qui est simplement un nom que l’auteure affectionnait ou Hermione qu’elle au trouvé au sein d’une pièce de Shakespeare, d’autres font véritablement apparaître le caractère de ceux qui les portent.

Des noms faisant référence au caractère des personnages 

A la manière des contes pour enfants, J.K. Rowling a pris soin de nommer certains de ses personnages en fonction de leurs traits de caractères ou de leurs caractéristiques physiques. Ainsi, de nombreux professeurs de Poudlard portent des noms qui les définissent à merveille. 

Il y a tout d’abord notre cher Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore dont le prénom Albus évoque ses caractéristiques physiques car Albus signifie « blanc » en latin comme ses cheveux et sa longue barbe. Albion est aussi l’ancien nom désignant la Grande-Bretagne à l’époque du roi Arthur, encore une référence à la légende. Dumbledore renvoie, quant à lui, au mot anglais bumbleblee qui signifie bourdon car J.K. Rowling l’imaginait en train de fredonner tout seul en déambulant dans le château. 

Chacun est d’accord pour dire que Severus Snape, ou Severus Rogue dans la version française, est un personnage plutôt sévère comme le laisse deviner son prénom. De plus, en anglais, le verbe to snape peut se traduire par « réprimander quelqu’un », ce qui est quand même son passe-temps favori. 

Minerva McGonagall, professeur de métamorphose et responsable de la maison Gryffondor, porte le prénom de la déesse romaine de la sagesse, de la médecine et de la guerre, un nom qui lui va donc à ravir. 

Rémus Lupin porte son secret à l’intérieur même de son nom. En effet, Lupin est un adjectif français relatif au loup. De même, selon la légende romaine, Rémus est le nom de l’un des deux frères fondateurs de Rome qui furent élevés par une louve.

Pomona Sprout (Pomona Chourave en français) a le même prénom que la déesse grecque des jardins et arbres fruitiers. De plus, sprout en anglais signifie germer. La discipline qu’elle enseigne apparaît donc dans son prénom.  

Dolores Umbridge (Ombrage) porte un prénom qui fait référence au mot « douleur » (dolor en latin) et un nom qui signifie « offenser » (umbrage en anglais) ou encore « ombre, ombrage » (umbra en latin). Sa passion est en effet de faire souffrir les élèves de Poudlard et elle n’hésite pas à utiliser les châtiments corporels pour faire régner son autorité. 

Sibylle Trelawney porte également bien son nom même si elle a parfois quelques lacunes en divination. En effet, dans l’Antiquité, une Sibylle désignait une prophétesse qui entrait dans un état extatique, sous l’influence d’Apollon, et prophétisait sans avoir été consultée. C’est bien sans qu’on la consulte que Mme Trelawney se montre beaucoup plus douée dans l’art de la divination.  

Quant à Rubeus Hagrid, il porte un nom en rapport avec son amour de la boisson. J.K. Rowling a en effet expliqué qu’il buvait beaucoup et que c’est la raison pour laquelle elle a choisi de l’appeler Rubeus, proche du mot anglais rubious, venant du latin « ruber », signifiant « rouge », comme le visage d’une personne alcoolisée. De même Hagrid est un vieux mot anglais qui signifie qu’une personne a mal dormi, ce qui est souvent le cas lorsque l’on a trop bu. 

Enfin, on retrouve l’influence de la langue française avec Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, Lord Voldemort. L’obsession de ce dernier était en effet d’échapper à la mort et ce n’est pas pour rien que le nom qu’il s’est choisi renvoie directement à l’idée de voler la mort elle-même en tentant de lui échapper. 

On retrouve encore l’influence française avec les noms de famille de certains Mangemort comme les Malefoy dont on a parlé plus haut mais aussi les Lestrange ou les Rosier. En espérant que cela ne reflète pas l’image que J.K. Rowling a des français…

Une boutique de Victoria Street, Edimbourg

Bonus

Impossible de ne pas parler de la chère Hedwige ! C’était le prénom portée par une sainte (Sainte Hedwige de Silésie, parfois orthographié Edwige) qui prenait soin des enfants abandonnés et des orphelins. On comprend donc toute son importance pour Harry.

Sources 

Littérature africaine

Nations Nègres et Culture, Cheikh Anta Diop

Ce qui est indispensable à un peuple pour mieux orienter son évolution, c’est de connaître ses origines, quelles qu’elles soient

Page 19

Informations générales

  • Année de parution : 1979
  • Genre : Essai 
  • Editeur : Présence Africaine
  • Nombre de pages : 562

Analyse

Ceux qui s’intéressent à la littérature africaine connaissent forcément cette oeuvre majeure de Cheikh Anta Diop. Le livre est divisé en deux parties, la première concerne l’histoire africaine et la seconde concerne la linguistique et l’étude de la culture. 

Cet ouvrage présente une analyse rigoureuse, précise et scientifique tendant à démontrer l’origine noire de l’Egypte antique et surtout l’apport de la civilisation noire au monde. 

La recherche d’une origine noire de l’Egypte antique 

Considérées comme révolutionnaires à leur parution, les thèses développées dans cet ouvrage, sont aujourd’hui de plus en plus acceptées par la communauté scientifique même si elles sont encore controversées comme nous allons le voir par la suite. 

Le titre complet de l’ouvrage est Nations Nègres et Culture, De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’aujourd’hui. Quand on pense à l’Egypte antique, ce sont souvent les mêmes images qui nous viennent en tête. Popularisée par le cinéma et la pop culture, l’image de Pharaons et d’égyptiens à la peau blanche est acceptée comme une représentation normale des peuples de l’Egypte antique. 

Cependant, Cheikh Anta Diop va s’attacher à démontrer que cette représentation est en grande partie erronée. Pour cela, il adopte une démarche scientifique et s’appuie sur ses qualités d’anthropologue pour présenter les arguments en faveur d’une « origine nègre de la race et de la civilisation égyptienne » avant d’analyser les arguments adverses. 

Il commence par démontrer la parenté entre l’Egypte et l’Afrique noire en soulignant la présence de pharaons d’Egypte soudanais pendant la XXVe dynastie. Ces derniers étaient surnommés les « pharaons noirs », les « pharaons koushites » ou encore les « pharaons éthiopiens ».  

Il démontre ensuite que les premières dynasties nubiennes se sont prolongées avec les dynasties égyptiennes jusqu’à l’occupation de l’Egypte par les Indo-Européens, à partir du Ve siècle avant J.-C.

« L’Ethiopie et l’intérieur de l’Afrique ont toujours été considérées par les Egyptiens comme la terre sacrée d’où étaient venus leurs ancêtres » 

page 221

L’étude de la linguistique permet également de renforcer la thèse d’une Egypte aux origines noires selon lui. Ainsi, le pays des Amam ou pays des ancêtres, ensemble du pays de Koush au sud de l’Egypte, était appelé la « terre des Dieux » par les égyptiens. De même, l’auteur se livre à une longue comparaison des mots égyptiens et wolof, une des langues parlées notamment au Sénégal, pour démontrer leur origine commune. 

A travers son oeuvre, il exhorte les égyptologues à prendre en compte l’origine noire de l’Egypte. Pour ce faire, il réfute les thèses allant à l’encontre une origine noire de la civilisation égyptienne. Ainsi, sur l’argument des cheveux lisses et des traits dits « réguliers », Cheikh Anta Diop rappelle qu’ils ne sont pas l’apanage des peuples blancs et citent l’exemple des nubiens et des indiens.

C’est ici l’occasion de mettre en lumière la grande diversité des peuples d’Afrique noire. Certains stéréotypes ont longtemps empêché de voir la diversité des différents peuples. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre parler du continent africain comme s’il s’agissait d’un pays. Même s’il recherche une origine commune à la civilisation égyptienne, Cheikh Anta Diop met aussi en lumière la diversité du continent et des peuples en étudiant l’origine de plusieurs ethnies africaines telles que les Peuls, les Yoroubas, les Maures ou encore les Toucouleurs. 

Si ces thèses sont célébrées par certains intellectuels comme Aimé Césaire, qui le qualifiait d’érudit, ou Ernest Pépin, d’autres sont sceptiques et remettent en cause ses méthodes scientifiques. De nos jours, la thèse la plus communément admise est celle selon laquelle les égyptiens antiques n’étaient ni noirs, comme le sont les peuples d’Afrique noire, ni blanc, comme les occidentaux, mais étaient en réalité comme leurs descendants méditerranéens actuels. 

L’apport de l’homme noir à la civilisation 

La question que l’on peut se poser est de savoir pourquoi tant de débats à propos de la couleur de peau d’un peuple de l’Antiquité ? Pourquoi est-ce important pour Cheikh Anta Diop de démontrer que la civilisation égyptienne était à l’origine noire ? 

L’Egypte ancienne fascine depuis toujours comme l’a montré l’engouement provoqué par l’exposition sur Toutânkhamon en 2019. Cette Egypte fantasmée a longtemps symbolisé la naissance de la Civilisation et l’apport de l’Egypte antique est reconnu dans le monde entier. 

C’est la raison pour laquelle Cheikh Anta Diop veut que soit reconnu l’apport des civilisations noires à l’humanité. En effet, beaucoup pensent que l’histoire de l’Afrique noire commence avec l’esclavage et la colonisation. Ainsi, le 26 juillet 2007, l’ancien président Nicolas Sarkozy affirma que « l’homme africain [n’était] pas assez entré dans l’Histoire » (comble de l’ironie, il prononça ce discours à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar).  

Ainsi, trop longtemps, le peuple noir a souffert de caricatures et autres dénigrements alors même que son histoire est riche et bien trop souvent méconnue. Il est donc important pour un peuple de connaître ses origines et de les assumer avec fierté. 

« L’humanité ne doit pas se faire par l’effacement des uns au profit des autres ; renoncer prématurément et d’une façon unilatérale, à sa culture nationale pour essayer d’adopter celle d’autrui et appeler cela une simplification des relations internationales et un sens du progrès, c’est se condamner au suicide. » 

page 17

En effet, pour l’auteur, le fait de renouer avec son histoire et sa culture, permettra de redonner au peuple sa fierté et sa confiance en lui. 

« On peut concevoir le jour où l’économie africaine sera entre les mains des Africains eux-mêmes et qu’elle ne sera plus adaptée à des nécessités d’exploitation mais à leurs besoins, la concentration démographique s’en trouvera modifiée » 

page 406

C’est pourquoi Cheikh Anta Diop combattait farouchement les thèses ayant pour but de « blanchir » l’histoire des civilisations africaines et de reléguer les noirs à l’état de simples sauvages. En effet, pour lui, les historiens connaissaient la véritable origine de l’Egypte antique mais ont volontairement falsifié l’histoire. 

À une certaine époque, il n’était pas rare de trouver des expressions telles que « blancs à peau noire » , « blancs à peau rouge » ou encore « blancs à peau brune ». Ces étranges qualificatifs avaient pour but d’affirmer que toutes les grandes civilisations de l’histoire ont été fondées par des peuples blancs. 

Dans son ouvrage, Cheikh Anta Diop se moque de tous ces auteurs qui préfèrent se convaincre qu’il a existé des « blancs à peau noire » plutôt que de croire que les noirs aient pu être à l’origine d’une civilisation aussi importante que celle de l’Egypte antique. 

« En effet, s’il faut croire les ouvrages occidentaux, c’est en vain qu’on chercherait jusqu’au coeur de la forêt tropicale, une seule civilisation qui, en dernière analyse, serait l’oeuvre des Nègres ». 

page 13 

On le comprends donc, Cheikh Anta Diop militait contre l’effacement et la falsification de l’histoire du peuple noir et dénonçait un processus de domination. 

« L’usage de l’aliénation culturelle comme une arme de domination est vieux comme le monde. » 

page 14

Il rappelle dans son ouvrage que cette méthode a été utilisée par les romains sur les gaulois rebelles en les assimilant à de simples sauvages qu’il fallait éduquer et civiliser.

« Encrouter l’âme nationale d’un peuple dans un passé pittoresque et inoffensif parce que suffisamment falsifié est un procédé classique de domination. » 

page 16

Si les thèses de l’auteur sont encore très controversées, il est certain qu’il y eut bien des pharaons noirs qui ont été à la tête d’une civilisation brillante et puissante. Ainsi, même si toutes les thèses développées ne sont pas toutes admises scientifiquement, cette lecture a le mérite de mettre en lumière la richesse des civilisations noires et leur apport au monde.  

L’oeuvre de Cheikh Anta Diop a surtout permis d’approfondir l’étude de l’apport de l’Afrique noire dans le développement de la civilisation. Il permet de proposer une autre interprétation de l’histoire du monde et de combattre l’idée selon laquelle les occidentaux auraient « civilisé » l’Afrique. 

Ainsi, que l’homme noir soit ou non à l’origine de la civilisation égyptienne, on ne peut nier son apport au sein des plus grandes civilisations. Cette prise de conscience est la raison pour laquelle je recommande cette lecture. Cheikh Anta Diop m’a permis de réaliser que mes ancêtres n’étaient ni des sauvages, ni uniquement des esclaves mais qu’ils ont fait partie intégrante d’une des plus grandes civilisations du monde. 

L’auteur


Cheikh Anta Diop est un anthropologue, historien et homme politique d’origine aristocratique wolof né en 1923 et mort en 1986 au Sénégal. Esprit brillant, il étudia à Paris la physique, l’histoire et les sciences sociales. L’oeuvre de sa vie fut de démontrer l’apport de l’Afrique noire à la civilisation mondiale. Il lutta également pour l’indépendance des pays africains et pour la constitution d’un Etat fédéral en Afrique. Depuis 1987, l’Université de Dakar porte son nom.