Lectures diverses

Alabama 1963, Ludovic Manchette & Christian Niemiec

Pouvons-nous affirmer au monde, et surtout à nos compatriotes, que nous sommes le pays de la liberté, sauf pour les Noirs ? Que nous n’avons pas de sous-citoyens, sauf les Noirs ? Que nous n’avons pas de système de classe sociale ou de caste, pas de ghetto, pas de race supérieure, sauf quand il s’agit des Noirs ? […] La notion de race n’a sa place ni dans la vie ni dans la loi américaine.

Extrait du discours de Kennedy, page 100

Informations générales

  • Année de parution : 2021
  • Genre : Roman policier / Thriller
  • Editeur : Pocket
  • Nombre de pages : 349

Résumé

A l’époque de la ségrégation raciale américaine, des petites filles noires se font enlever et sont retrouvées violées et assassinées. La police ne fait rien et la famille d’une des victimes décide de se tourner vers Bud, un détective blanc, raciste et alcoolique. Ce dernier accepte, faute de mieux, de s’occuper de l’enquête et va être aidé par Adela, sa femme de ménage noire. On va donc suivre l’enquête avec ce duo improbable et plonger dans l’ambiance glaçante des Etats-Unis des années 60. 

Avis et analyse 

Une plongée dans les Etats-Unis ségrégationnistes 

Le roman est très sombre et aborde les conditions de vie des afro-américains lors de la ségrégation raciale. Parqués dans certains quartiers de la ville, ils n’ont pas accès aux services publics de la même manière que les personnes blanches. Les auteurs montrent l’absurdité de ce système, à travers la manière de prendre le bus (rendu célèbre par Rosa Parks).

« Elle monta dans le bus pour régler le trajet au chauffeur, avant de redescendre pour remonter par la porte du fond, réservée aux Noirs. Comme Sid, elle aurait aimé s’asseoir, surtout par cette chaleur, mais malheureusement toutes les places étaient prises. Enfin, pas toutes. Ce n’était pas les sièges libres qui manquaient à l’avant, mais ceux-là étaient réservés aux Blancs, et les Noirs ne pouvaient s’y asseoir que lorsqu’il n’y avait aucun Blanc. ».

Page 16 

On assiste aussi à de nombreuses humiliations subies quotidiennement par Adela lorsqu’elle exerce son métier de femme de ménage. En cela, ce livre m’a beaucoup fait penser au film The Help (La couleur des sentiments).

Une des expériences les plus douloureuses, et ce qui constitue le coeur du roman, est l’absence de réaction de la police face à la disparition des petites filles noires. C’est ainsi que l’on comprend que tout repose donc sur notre duo d’enquêteurs, Bud et Adela.

« Vous pensez que ça existe, le crime parfait ?

Non.

 Non ?

Non. Je crois pas au crime parfait. Par contre, je crois aux enquêtes imparfaites. »

Page 139 

Un duo que tout oppose 

Alors que Bud est alcoolique et totalement désabusé, Adela est l’illustration de la femme noire qui se bat pour offrir le meilleur à ses enfants et pour survivre dans cette société brutale et injuste. 

Malgré tout, j’ai eu du mal à m’attacher aux deux personnages principaux. Tout d’abord parce que j’ai eu envie de secouer Bud pendant une grande partie du roman. L’enquête prend énormément de temps à avancer et cela en grande partie à cause de son incapacité à rester sobre. 

Quant à Adela, j’ai trouvé que son personnage manquait de profondeur. C’est la femme afro-américaine qu’on a l’habitude de voir dans les films et romans qui abordent cette période. J’ai donc trouvé son personnage assez prévisible.

Malgré tout, le duo fonctionne quand même et on sent que chacun apporte quelque chose à l’autre et vient chambouler son univers.

« Vous préférez qu’on dise de vous que vous êtes une femme noire ou que vous êtes une femme de couleur ?

Je préfère qu’on dise que je suis une femme bien. »

Page 36

Photo prise à l’exposition Black Indians au Musée du Quai Branly

Une lecture comportant quelques clichés 

Bien souvent, les oeuvres qui abordent cette période présentent une trame assez similaires. J’ai parfois le sentiment que les auteurs qui écrivent sur cette période veulent absolument montrer que tous les blancs n’étaient pas comme ça. Effectivement, c’est vrai, des personnes blanches se sont battues au côté des personnes noires, c’est important de le rappeler. Toutefois, dans la réalité, ce ne fut pas l’expérience vécue par la plupart des afro-américains. 

Cependant, ce n’est pas tant le personnage de Bud qui joue ce rôle de « gentil ». On le retrouve avec des personnages comme Miss Gloria, une attachante septuagénaire, ou encore Shirley Ackerman, une canadienne qui embauche Adela pour son ménage. Shirley m’a d’ailleurs beaucoup rappelée le personnage de la jeune journaliste Skeeter dans le film The Help.

Image et affiche du film The Help (La couleur des sentiments)

Ainsi, j’ai eu l’impression que les auteurs ont absolument voulu montrer qu’il existait des « gentils blancs ». A l’inverse, ils ont voulu mettre en exergue le fait qu’il existait des « méchants noirs ». Encore une fois, bien sur que des hommes noirs violents existaient à l’époque et existent d’ailleurs toujours. La violence n’a pas de couleur. Un des exemples est la scène de lynchage de personnes noires envers un autre homme noir.  

Utiliser une scène de lynchage qui a une portée symbolique forte et qui est une violence historiquement commise par des personnes blanches sur des personnes noires, était pour moi un mauvais choix.

En effet, il y a déjà beaucoup d’exemples dans le livres montrant que la violence n’a pas de couleur et que l’horreur humaine existe aussi bien chez les noirs que chez les blancs. Ce choix des auteurs permet d’ailleurs d’allonger la liste des suspects, ce qui est une bonne chose pour le suspens.

Pour conclure, c’est un bon thriller car il nous tient en haleine jusqu’à la fin. Bien que beaucoup d’oeuvres existent déjà sur le sujet, c’est un livre qui permet de comprendre la difficile histoire afro-américaine et l’importance de la lutte pour les droits civiques.

« Le vent est en train de tourner, et ils le savent. Les lois changent. La société change. D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y avait deux Noirs pour porter le cercueil de notre président. Peut-être qu’un jour des Blanches iront faire le ménage chez des Noirs ! »

Page 243 

Lectures diverses

Harry Potter est-elle une oeuvre problématique ?

It matters not what someone is born, but what they grow to be.

Harry Potter and the goblet of fire, J.K. Rowling, page 614-615
*Ce qui compte, ce n’est pas la naissance mais ce que l’on devient, Harry Potter et la coupe de feu, page 739

Depuis que J.K.Rowling est accusée de transphobie, de nombreuses critiques sont émises sur son oeuvre. Ainsi, certains accusent l’oeuvre de manquer de diversité, ou encore d’être une saga antisémite faisant l’apologie de l’esclavage

Prônant la lutte contre le racisme et toute autre forme de discrimination, ces accusations n’ont pas manqué d’attirer mon attention. 

Cet article ne porte pas sur les propos tenus par l’auteure mais simplement sur les critiques concernant le contenu de son oeuvre. En effet, ces accusations sont suffisamment graves pour qu’on se replonge notre saga d’enfance afin d’y trouver quelques réponses. 

Un manque de diversité ? 

Je commence par un sujet qui me tient à coeur, à savoir la représentativité. Tout d’abord, il convient de faire la différence entre les films et les livres. En effet, si on s’en tient uniquement aux adaptations cinématographiques, la grande majorité des personnages sont effectivement blancs ou même deviennent blancs. Cela fut le cas du personnage de Lavande Brown qui était interprétée par les actrices noires Kathleen Cauley (Harry Potter et la Chambre des secrets) et Jennifer Smith (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban) avant d’être interprétée par Jessie Cave lorsque le personnage prend de l’importance, ce qui est assez regrettable. En revanche, dans les livres, l’auteure ne précise pas la couleur de peau de Lavande. 

Elle ne se prononce pas non plus sur le personnage d’Hermione même si quelques indices auraient pu nous faire penser qu’il s’agit d’une jeune fille noire (ses cheveux frisés par exemple). C’est d’ailleurs une actrice noire, Noma Dumezweni, qui l’interprète dans la pièce Harry Potter et l’enfant maudit.

A l’exception de ces deux personnages où le doute est permis, la saga contient de nombreux personnages racisés auxquels beaucoup peuvent s’identifier. Loin des clichés, la description de leur caractère est très satisfaisante, d’autant plus que la saga a été écrite dans les années 90 à une époque où la question de la représentativité n’était pas autant d’actualité. 

Il y a par exemple le charismatique Kingsley Shacklebolt, un sorcier très respecté qui deviendra même Ministre de la Magie. A t’on besoin de rappeler qu’à part Barack Obama, aucun homme noir n’a été à la tête d’un pays occidental. Nommer Kingsley Ministre de la Magie et donc à la tête du monde des sorciers britannique est un choix engagé de la part de l’auteure. 

Il y a aussi le courageux et fidèle Dean Thomas qui participa à la bataille de Poudlard ou encore Lee Jordan, membre actif de la résistance notamment avec la radio Potterveille qui lutta contre le régime mis en place par Voldemort. Même s’il n’est pas très sympathique, Blaise Zabini, décrit comme un grand jeune homme noir avec des yeux en amande, a fait rêver pas mal de filles (et de garçons).

Angelina Johnson peut aussi être admirée. Très bonne joueuse de Quidditch, elle devint capitaine de l’équipe de Gryffondor. Elle participa également à la bataille de Poudlard et épousa George Weasley avec qui elle eu deux enfants.

On retrouve aussi les soeurs Patil, très présentes dans les livres, ou encore Cho Chang une fille intelligente et douée en Quidditch (qui, comme tous les personnages, a aussi ses défauts). Si le choix de son nom aurait pu être différent, on ne retrouve pas de clichés racistes dans la description du caractère de son personnage. 

J’en ai déjà parlé ici, mais ce sont les divers personnages qui font la force de la saga Harry Potter. C’est assez appréciable de lire une oeuvre contenant autant de diversité sans être dérangé par quelconque clichés racistes. On aime les personnages pour leur caractère propre, pour leur humour, leur courage, leur loyauté, leur intelligence et ils sont pour beaucoup de lecteurs une source d’inspiration. 

Le cas d’Hermione est intéressant car le fait de ne pas avoir précisé sa couleur de peau tout en lui donnant des caractéristiques qui peuvent être à la fois celles d’une jeune fille blanche ou celle d’une jeune fille noire permet à beaucoup de petites filles de s’identifier à son personnage. 

Enfin, ce n’est pas non plus anodin que l’un des personnages les plus importants de la saga ait été amoureux d’une personne du même sexe. Si la saga n’est pas centrée sur les histoires de coeur de Dumbledore, cela est quand même un acte fort d’en avoir fait un personnage homosexuel. Certains regrettent que cette histoire n’ait pas été abordée plus profondément dans les livres mais il faut rappeler que Harry Potter n’est pas une histoire d’amour mais avant tout une saga héroïque. De plus, la romance entre Dumbledore et Grindelwald est abordée dans les films Les Animaux Fantastiques

Ainsi, vous l’aurez compris, pour moi, et ce n’est que mon avis, les livres ne manquent pas de diversité et j’ai été heureuse lorsque j’étais petite de lire une histoire aussi incroyable avec des personnages qui me ressemblent.

Une saga antisémite ?  

Je dois avouer ne pas avoir tout de suite compris la portée de cette accusation car la religion n’est jamais abordée dans les livres. Cependant, j’ai constaté que certains se sont offusqués en clamant que les Gobelins seraient une caricature antisémite des personnes juives. Les arguments avancés par ceux qui exposent cette théorie reposent sur le fait que les Gobelins ont « le nez crochu » et qu’ils contrôlent les banques et les finances du monde des sorciers. 

Alors, comment vous dire que je n’avais jamais fait un tel rapprochement. J’ai plutôt l’impression que c’est la comparaison faite par ceux qui formulent de telles accusations qui est antisémite. A quel moment peut-on faire un rapprochement entre des gobelins, créatures non humaines, et des êtres humains de confession juive ?D’autant plus que le fil conducteur de la saga peut-être comparée à la lutte contre le régime nazi. 

Tout d’abord, Voldemort présente des similitudes importantes avec Adolf Hitler. Il est obsédé par la pureté du sang des sorciers alors que lui-même est un sang mêlé, tout comme Hitler était obsédé par la race aryenne alors même qu’il aurait eu des origines juives. De plus, Voldemort n’est autre que le descendant de Salazar Serpentard dont les initiales renvoient au tristement célèbre corps des SS formé par Hitler. 

Ensuite, la prise de pouvoir de Voldemort s’accompagne de la mise en place d’un régime autoritaire proche du régime nazi. En effet, ce régime repose sur la supériorité d’une catégorie de personne, les sorciers au sang-pur, par rapport aux sorciers nés-moldus. On retrouve donc la notion de supériorité de la race revendiquée par le nazisme. 

Même si les prérogatives du Ministère de la Magie ont toujours été un peu floues au long de la saga (intervention du Ministère dans l’administration de Poudlard avec Dolores Ombrage et contrôle de la presse notamment de la Gazette du Sorcier), le pouvoir de ce dernier devient sans limite sous le règne de Voldemort. 

Les moldus, tout comme le furent les juifs et autres minorités sous le régime nazi, sont la cible du pouvoir en place. Une propagande anti-moldus est instaurée avec par exemple la brochure intitulée « Les Sang-de-Bourbe et les dangers qu’ils représentent pour une société de Sang-Pur désireux de vivre en paix ». Objet d’une véritable persécution, ils sont expulsés de Poudlard, accusés de voler le pouvoir des sorciers et forcés de prendre la fuite. 

De même, la « Commission d’enregistrement des né-moldus » dirigée par Ombrage ne manque pas de rappeler le fichage des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Après un interrogatoire, les sorciers nés-moldus sont privés de leur baguette et envoyés à Azkaban. 

Il y a aussi les raffleurs, sorciers chargés de traquer et de capturer les moldus, qui font penser aux kapos. Ces derniers étaient recrutés parmi les prisonniers de droit commun les plus violents pour encadrer les prisonniers des camps de concentration nazis. 

On peut aussi citer le symbole de la marque des ténèbres, emblème du régime de Voldemort comme la croix gammée était celle du régime d’Hitler. De même, la statue qui remplace la Fontaine de la Fraternité Magique au Ministère de la Magie, représente bien l’esprit de ce régime totalitaire. Nommée La Magie est Puissance, elle représente en effet un couple de sorcier à l’air hautain assis sur un trône fait de corps de Moldus. 

Source : Pottermore

Enfin, face à ce régime, une véritable résistance se met en place avec pour héros le personnage d’Harry Potter. On trouve encore des similitudes avec la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, un des moyens de communication des résistants est la radio et notamment la radio Potterveille qui peut faire penser à la célèbre Radio Londres. Tout comme les résistants au régime Nazi, les ennemis de Voldemort se regroupent dans des organisations comme L’Armée de Dumbledore ou L’Ordre du Phénix

Pourquoi l’auteure aurait dénoncé un tel régime dans son oeuvre si elle voulait propager une idéologie antisémite ? Cela n’a tout simplement aucun sens. 

Une apologie de l’esclavage ? 

Enfin, terminons avec l’accusation d’apologie de l’esclavage. En effet, certains remettent en cause l’attitude des elfes de maison qui semblent plutôt bien s’accommoder de leur sort. Il est vrai que ces derniers ne semblent pas vouloir se rebeller et que Dobby fait figure d’exception. La présentation qui est faite dans les livres de ces esclaves qui, pour certains, aiment leur statut comme l’elfe Winky peut tout à fait choquer.

Cependant, encore une fois, il y a une véritable critique dans les livres. Ainsi, la cruauté de la famille Malefoy envers Dobby se retourne contre elle puisque Dobby est celui qui sauve Harry de leur manoir. De même, le combat mené par Hermione est à saluer. Avec son association « la Société d’Aide à la Libération des Elfes« , elle s’est battue pour éveiller les consciences sur le sort des elfes de maison.

Il n’y a donc pas d’apologie de l’esclavage mais bien une dénonciation de la privation de liberté de certains êtres. Aucun lien ne peut être fait ici avec la traite négrière car les conditions sont bien différentes : il n’y pas eu de rapt et de déportation et les elfes ne se sont pas rebellés pour leur liberté comme l’on fait les esclaves. J.K.Rowling montre que le statut des elfes est inacceptable et doit être remis en cause. Dans une société qui semble peu soucieuse de leur sort, elle fait intervenir Hermione, elle-même victime de la discrimination anti-moldus, pour changer les mentalités.

En conclusion, on peut ne pas être d’accord avec les propos que l’auteure a tenu sans pour autant chercher à discréditer son oeuvre. Chacun a son opinion sur la fameuse question de savoir s’il faut séparer l’oeuvre de l’auteur mais on ne peut nier que la saga Harry Potter prône des valeurs dans lesquelles un grand nombre de personnes peuvent se reconnaître. Les valeurs de Poudlard sont la tolérance, le courage, l’amitié, l’amour et l’acceptation. C’est la raison du succès international de la saga. Chacun peut se sentir le bienvenu dans cet univers.

Que les propos de J.K.Rowling aient choqué est un fait, cependant, l’univers qu’elle a créé est en dehors de la polémique. Il faut sans cesse dénoncer le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie et toute forme de discrimination mais il ne faut pas banaliser ou ridiculiser ces luttes en attaquant une oeuvre à tort.

Lectures diverses

La part du colibri, Pierre Rabhi

C’est ainsi que j’ouvrais les  yeux sur un monde en feu dans lequel il m’apparut que je devais faire ma part de colibri 

Page 37

Informations générales

  • Année de parution : 2014
  • Editeur : Editions de l’Aube
  • Genre : Essai
  • Nombre de pages : 144

Une nouvelle vision de l’écologie 

Depuis quelques années, il y a une véritable prise de conscience en matière d’écologie et de respect de l’environnement. La crise liée au Covid 19 que nous traversons renforce cet intérêt. Peut-on réellement continuer à vivre ainsi ? Quel est l’avenir de notre planète si nous continuons à ce rythme ? 

Pour répondre à ces questions, je vous propose un petit livre qui changera votre vision du monde. Cela peut sembler ambitieux pour un si petit livre mais je vous assure que sa lecture est vraiment capitale. 

Les illustrations de Pierre Lemaitre complètent bien cet ouvrage qui allie la prise de conscience à la poésie. 

La nécessité de changer de mode de vie

Pierre Rabhi part d’un constat assez simple. En dépit de toutes nos prouesses technologiques, on ne parvient pas à subvenir aux besoins de tous. Comment est-ce possible que des êtres humains meurent de faim alors qu’il y a toujours plus de gaspillage alimentaire ? Comment se fait-il que les femmes soient encore oppressées ? Que le monde animal soit dévasté à notre profit ? La raison principale est que nous exploitons notre planète jusqu’à la détruire plutôt que d’unir nos forces pour construire un monde meilleur. 

Cela semble des constats évidents et avant de lire cet ouvrage je me disais que si personne ne faisait rien c’était surement parce que changer les choses devait être bien trop compliqué. Après tout, cela semble compliquer de changer notre manière de consommer et si nous fonctionnons ainsi c’est surement pour une raison très logique. 

Pourtant, en lisant ce livre, j’ai réellement pris conscience de la totale absurdité de notre système. Par exemple, l’auteur nous explique qu’il faut donner 10 kilos de céréales à un boeuf pour obtenir un kilo de viande et que la moitié du territoire agricole français est mobilisé pour nourrir les animaux … De même, il faut 400 litres d’eau pour produire un kilo de maïs grain. Quelle est la logique dans ce mode d’exploitation ? 

« Nous passons notre temps à oublier, oublier que nous vivons sur une planète limitée à laquelle nous appliquons un principe illimité, ce qui accélère le processus d’épuisement des ressources et d’accroissement des inégalités structurelles, source de mécontentements, de frustrations et de conflits ». 

page 30

Le cataclysme de l’agriculture industrielle est dénoncé. La pollution des sols, la pollution des eaux, le démantèlement des écosystèmes ou encore la perte de la biodiversité animale et végétale sont quelques uns de ses effets dévastateurs. 

L’auteur met aussi les Etats face à leurs contradictions. Si de grands sommets mondiaux sont organisés comme les sommets de Rio, Stockholm ou encore Kyoto, ils ne sont qu’hypocrisie. Ils se contentent de poser quelques recommandations bien souvent non contraignantes pour les Etats. A l’époque où Pierre Rabhi écrit ce livre, la France ne consacrait que 0,28% de son budget national à l’environnement. Ce budget est aujourd’hui en hausse mais les mesures adoptées sont encore très timides. 

Au-delà de ces constats et de la critique des institutions, Pierre Rabhi interroge sur notre place au sein de ce système. Sommes nous réellement fait pour vivre de cette manière ? 

« Par ailleurs, l’idéologie prétendait qu’avec la science et la technique, les êtres humains allaient être libérés. Or l’observation des faits nous montre que l’itinéraire de vie d’un être humain dans la modernité est fait d’enfermements successifs : de la maternelle à l’université, il est enfermé – les jeunes appellent ça le « bahut » ; les femmes et les hommes en activité disent travailler dans des « boîtes », petites ou grandes ; les jeunes s’amusent en « boîte » et y vont dans leurs « caisses ». Ensuite vous avez la boîte où l’on stocke les vieux avant la dernière boîte que je vous laisse deviner. »

page 46

Vers un monde plus juste 

Pour l’auteur, il faut agir et ne pas rester passif. Il en va de notre responsabilité. Il nous invite à nous saisir de notre destin pour le mettre en conformité avec nos convictions et nos aspirations. 

« Car si l’être humain ne change pas quotidiennement pour atteindre générosité, compassion, éthique et équité, la société ne pourra changer durablement. On peut manger bio, recycler ses déchets et ses eaux usées, se chauffer à l’énergie solaire et exploiter son prochain. Cela n’est pas incompatible. Comme pour toutes nos innovations, la question est de savoir quelle conscience les détermine. » 

page 78

Il nous invite à un retour aux sources afin d’apprendre à nouveau la patience et la saveur des cycles. 

« Retrouver un peu du sentiment de ces êtres premiers pour qui la création, les créatures et la terre étaient avant tout sacrée … » 

page 5

Il s’agit de renouer avec notre véritable vocation qui est basée sur le respect de la vie. Pour illustrer son message, l’auteur nous explique son parcours et son mode de vie dans les Cévennes au sein d’une ferme écologique. 

« Il nous faudra bien répondre à notre véritable vocation qui n’est pas de produire et consommer jusqu’à la fin de nos vies mais d’aimer, d’admirer et de prendre soin de la vie sous toutes ses formes. » 

page 120

Dans un monde absurde où l’argent et le profit ont plus de valeur que la vie humaine et la préservation de notre planète, Pierre Rabhi nous incite donc à faire notre « part du colibri ». 

Cette exhortation est issue d’une légende amérindienne. Selon cette dernière, alors qu’un immense incendie ravageait une forêt, un petit colibri s’activait en allant chercher quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu, alors que les autres animaux observaient terrifiés et atterrés. Agacé, un tatou lui dit « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Tu crois que c’est avec des gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ? », « Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part ». 

On peut parfois se sentir désespéré et penser que ce que l’on fait ne change rien mais si nous faisons tous notre part alors les choses peuvent changer.

« Sachez que la Création ne nous appartient pas, mais que nous sommes ses enfants. » 

page 123 

« Soyez très éveillés lorsque le soleil illumine vos sentiers et lorsque la nuit vous rassemble, ayez confiance en elle, car si vous n’avez ni haine ni ennemi, elle vous conduira sans dommage, sur ses pirogues de silence, jusqu’aux rives de l’aurore. » 

page 126 

L’auteur

Pierre Rabhi, paysan et penseur français né le 29 mai 1938 en Algérie, défend un mode de société plus respectueux des hommes et de la Terre. 

Il fonda le mouvement des Colibris et est devenu une figure du mouvement politique et scientifique de l’agroécologie en France. 

Depuis 1981, il partage ses connaissances à travers l’Europe et l’Afrique afin de redonner leur autonomie alimentaire aux populations. Il a notamment participé à l’élaboration de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification.

Bien que son combat pour l’écologie soit admirable, il fait toutefois l’objet de nombreuses critiques concernant certaines de ses prises de positions sociétales. 

Lectures diverses

La symbolique des noms des personnages de la saga Harry Potter

La peur d’un nom ne fait qu’accroître la peur de la chose elle-même.

Harry Potter à l’école des sorciers, J.K. Rowling, page 291

Si vous ne vivez pas dans une grotte depuis plus d’une vingtaine d’années, vous avez forcément déjà entendu parler de la saga Harry Potter. Outre l’histoire merveilleusement bien ficelée, la magie opère également grâce à l’attention que J.K. Rowling a porté à de nombreux détails, et notamment à l’appellation de ses personnages.

Il faut bien admettre que les personnages de la saga sont l’une des raisons de son succès. Rarement, des personnages fictifs n’ont semblé si réels. Chacun a sa propre histoire et son propre caractère et il est possible d’en apprendre davantage sur eux en dehors des romans car l’auteure distille très souvent des informations sur leur passé, leurs habitudes ou sur ce qu’ils sont devenus après la bataille de Poudlard. 

Vous avez d’ailleurs sûrement vos personnages préférés et d’autres que vous détestez (coucou Ombrage) mais vous êtes-vous déjà intéressé à la symbolique de leur nom ? 

Beaucoup de choses ont inspiré J.K. Rowling pendant l’écriture de ses romans. Ainsi, elle avait pour habitude de se promener au cimetière de Greyfriars d’Edimbourg et s’est inspirée de certains noms sur les pierres tombales. J’ai eu la chance de visiter ces lieux et d’y découvrir la tombe de Voldemort en personne ! Ou plutôt celle d’un certain Tomas Riddell, un inconnu devenu célèbre, dont la tombe est visitée chaque jour par de nombreux moldus. Dans ce cimetière, on trouve aussi les tombes d’un certain William McGonagall ou encore une stèle de la famille Potter. 

Mises à part ces balades entre les tombes, vous avez surement remarqué que les prénoms des personnages de la saga ont souvent des points communs. Par exemple, on retrouve de nombreux noms d’étoiles (Sirius, Bellatrix), ou de fleurs (Lily, Pétunia), ou encore tirés de la mythologie (Minerva, Pomona). Vous avez aussi sans doute remarqué les influences de la langue française, que J.K. Rowling connait bien pour avoir donné des cours d’anglais à la Sorbonne.

Je vous propose donc une analyse des noms et prénoms de nos chers sorciers. Cependant, si vous n’avez pas lu les romans ou vu les films, je vous déconseille de poursuivre la lecture de cet article au risque de vous dévoiler quelques éléments importants de l’intrigue. 

Des familles unies par les prénoms de leurs membres

Les membres d’une même famille ne sont pas seulement liés par leur couleur de cheveux ou par leurs activités douteuses en lien avec Vous-Savez-Qui mais également par la cohésion de leurs prénoms. 

Ainsi, même si les Black s’évertuent à renier les membres de leur famille qui ne partagent pas leurs idées et même si Sirius a tout fait pour s’éloigner d’eux, ils restent unis par leur prénom. C’est peut être même le seul point commun entre Sirius et sa cousine Bellatrix. 

Source : https://www.encyclopedie-hp.org

Sirius est, en effet, le nom de l’étoile la plus brillante du ciel, après le soleil, située dans la constellation du Grand Chien. Or, comme vous le savez, Sirius Black a la particularité de pouvoir prendre l’apparence d’un grand chien noir. Ainsi, on pouvait presque deviner que Sirius était un animagus à la lecture de son nom et de son prénom. 

La constellation du Grand Chien est située a côté de la constellation d’Orion et représente le chien de ce dernier dans la mythologie grecque. Ce n’est donc pas un hasard si le père de Sirius s’appelle Orion Black

Quant à Bellatrix, c’est également le nom d’une étoile très brillante de la constellation d’Orion. Ce nom provient du latin et signifie « la guerrière », ce qui lui correspond plutôt bien. 

Régulus, le frère de Sirius porte le nom d’une étoile de la constellation du Lion, qui signifie « petit roi » en latin. C’était en effet, le fils préféré de Walburga, même s’il semble s’être rangé du côté lumineux de la force avant sa mort. 

Parmi les nombreux membres de la famille Black, on trouve encore d’autres noms d’étoiles ou de constellations tels que Cygnus, Arcturus, Pollux, Cassiopeia, Andromeda (la mère de Tonks). C’est donc en observant la nuit étoilée que J.K. Rowling a trouvé les prénoms des membres de la famille Black. 

La famille Malefoy, qui ne brille pas pour sa bonne foi, est affiliée à la famille Black par la mère Narcissa dont le nom provient du mythe de Narcisse, dans la mythologie grecque. Un prénom qui lui va donc très bien car elle se sent supérieure à ceux qui n’ont pas le sang pur. Quant à Drago (Draco en VO), il renvoie également au nom d’une constellation (la constellation du Dragon), tout comme son fils Scorpius (la constellation du Scorpion). 

Lucius, le père, a un prénom qui peut faire penser à Lucifer. Ce prénom lui va plutôt bien en raison des activités qu’il pratique en tant que Mangemort. Ce qui est intéressant, c’est que c’est également le prénom de l’empereur romain ennemi du roi Arthur, et comme vous le savez, ce n’est pas l’amour fou entre Lucius Malefoy et Arthur Weasley.

Concernant les Weasley, leur nom de famille fait référence à de petits mammifères proches des belettes (weasel en anglais). Selon J.K. Rowling elle-même, ces petits mammifères ont une réputation de nuisibles mais elle les a toujours adoré et elle affirme qu’ils sont moins mauvais que les gens ne le sont à leur égard. Les Weasley ne sont en effet pas toujours bien vu dans le monde des sorciers en raison de leur condition sociale et de leur grande tolérance envers les moldus. 

Paradoxalement à leur milieu social, les Weasley portent des prénoms en lien avec la royauté. On trouve ainsi des références à la légende du roi Arthur avec le père Arthur Weasley, la cadette Ginevra (surnommée Ginny), qui renvoi au prénom Guenièvre qui était la reine du royaume de Camelot et l’un des fils, Percy, diminutif de Perceval, un des chevaliers de la table ronde. Quant à Ronald, il est surnommé Ron, comme le nom porté par la lance du roi Arthur dans la légende. 

William (surnommée Bill) et Charles (surnommée Charly) sont des noms portés par de nombreux rois anglais. Quant à Fred et George, leur destin présente des similitudes avec ceux du roi George III, roi du Royaume Uni au XVIIIe s., qui était à moitié sourd et de son frère Fréderick décédé alors qu’il était adolescent. 

Si certains prénoms ne renvoient pas à une signification particulière, comme celui de son héros, Harry, qui est simplement un nom que l’auteure affectionnait ou Hermione qu’elle au trouvé au sein d’une pièce de Shakespeare, d’autres font véritablement apparaître le caractère de ceux qui les portent.

Des noms faisant référence au caractère des personnages 

A la manière des contes pour enfants, J.K. Rowling a pris soin de nommer certains de ses personnages en fonction de leurs traits de caractères ou de leurs caractéristiques physiques. Ainsi, de nombreux professeurs de Poudlard portent des noms qui les définissent à merveille. 

Il y a tout d’abord notre cher Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore dont le prénom Albus évoque ses caractéristiques physiques car Albus signifie « blanc » en latin comme ses cheveux et sa longue barbe. Albion est aussi l’ancien nom désignant la Grande-Bretagne à l’époque du roi Arthur, encore une référence à la légende. Dumbledore renvoie, quant à lui, au mot anglais bumbleblee qui signifie bourdon car J.K. Rowling l’imaginait en train de fredonner tout seul en déambulant dans le château. 

Chacun est d’accord pour dire que Severus Snape, ou Severus Rogue dans la version française, est un personnage plutôt sévère comme le laisse deviner son prénom. De plus, en anglais, le verbe to snape peut se traduire par « réprimander quelqu’un », ce qui est quand même son passe-temps favori. 

Minerva McGonagall, professeur de métamorphose et responsable de la maison Gryffondor, porte le prénom de la déesse romaine de la sagesse, de la médecine et de la guerre, un nom qui lui va donc à ravir. 

Rémus Lupin porte son secret à l’intérieur même de son nom. En effet, Lupin est un adjectif français relatif au loup. De même, selon la légende romaine, Rémus est le nom de l’un des deux frères fondateurs de Rome qui furent élevés par une louve.

Pomona Sprout (Pomona Chourave en français) a le même prénom que la déesse grecque des jardins et arbres fruitiers. De plus, sprout en anglais signifie germer. La discipline qu’elle enseigne apparaît donc dans son prénom.  

Dolores Umbridge (Ombrage) porte un prénom qui fait référence au mot « douleur » (dolor en latin) et un nom qui signifie « offenser » (umbrage en anglais) ou encore « ombre, ombrage » (umbra en latin). Sa passion est en effet de faire souffrir les élèves de Poudlard et elle n’hésite pas à utiliser les châtiments corporels pour faire régner son autorité. 

Sibylle Trelawney porte également bien son nom même si elle a parfois quelques lacunes en divination. En effet, dans l’Antiquité, une Sibylle désignait une prophétesse qui entrait dans un état extatique, sous l’influence d’Apollon, et prophétisait sans avoir été consultée. C’est bien sans qu’on la consulte que Mme Trelawney se montre beaucoup plus douée dans l’art de la divination.  

Quant à Rubeus Hagrid, il porte un nom en rapport avec son amour de la boisson. J.K. Rowling a en effet expliqué qu’il buvait beaucoup et que c’est la raison pour laquelle elle a choisi de l’appeler Rubeus, proche du mot anglais rubious, venant du latin « ruber », signifiant « rouge », comme le visage d’une personne alcoolisée. De même Hagrid est un vieux mot anglais qui signifie qu’une personne a mal dormi, ce qui est souvent le cas lorsque l’on a trop bu. 

Enfin, on retrouve l’influence de la langue française avec Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, Lord Voldemort. L’obsession de ce dernier était en effet d’échapper à la mort et ce n’est pas pour rien que le nom qu’il s’est choisi renvoie directement à l’idée de voler la mort elle-même en tentant de lui échapper. 

On retrouve encore l’influence française avec les noms de famille de certains Mangemort comme les Malefoy dont on a parlé plus haut mais aussi les Lestrange ou les Rosier. En espérant que cela ne reflète pas l’image que J.K. Rowling a des français…

Une boutique de Victoria Street, Edimbourg

Bonus

Impossible de ne pas parler de la chère Hedwige ! C’était le prénom portée par une sainte (Sainte Hedwige de Silésie, parfois orthographié Edwige) qui prenait soin des enfants abandonnés et des orphelins. On comprend donc toute son importance pour Harry.

Sources 

Lectures diverses

Mille petits riens, Jodi Picoult

Peut-être qu’il est possible de haïr quelqu’un autant qu’on l’a aimé. Comme la doublure d’une poche qu’on aurait retournée. En toute logique, l’inverse doit être vrai aussi.

page 632

Informations générales

  • Année de parution : 2016
  • Genre : Roman américain
  • Nombre de pages : 664

Résumé

Ruth est une sage-femme afro-américaine passionnée par son métier qu’elle exerce depuis plus de vingt ans. Son parcours est exemplaire et elle se veut comme un modèle d’intégration au sein de la société américaine. Sa vie va être bouleversée lorsqu’elle va croiser le chemin de Turk et Brittany Bauer, un couple de suprémacistes blancs dont la femme est venue accoucher à l’hôpital où Ruth travaille. En effet, lorsque leur bébé décède à l’hôpital, Ruth va être, pour eux et pour tout un système raciste, la coupable idéale.

Avis et analyse 

Le récit est raconté à trois voix. Le lecteur est invité à suivre l’histoire à travers le point de vue de Ruth, l’infirmière, Turk Bauer, le père du bébé décédé et Kennedy, une avocate qui va tout faire pour aider Ruth. Au début, j’ai eu un peu de mal avec cette idée. Avais-je vraiment envie de lire le point de vue d’un suprémaciste blanc ? De plus, l’auteur Jodi Picoult n’étant pas une personne de couleur, j’avais quelques appréhensions à lire la manière dont elle allait se mettre dans la peau d’une afro-américaine. 

Finalement ce fut une vraie bonne surprise. Le véritable apport de ce roman est la prise de conscience progressive des personnages. C’est très intelligent de la part de l’auteur car cela permet de comprendre les problématiques raciales à travers un chemin évolutif. 

Ainsi, au début, Ruth me semblait peu concernée par ces questions et obnubilée par sa volonté d’intégration, au contraire de sa soeur Adissa qui représente l’afro-américaine révoltée et engagée. 

Alors que cette dernière vit dans un quartier pauvre avec ses nombreux enfants et est constante lutte contre le système établi, Ruth, est quant à elle obsédée par l’idée de « s’intégrer ». Pour cela, elle a fait le choix d’habiter un quartier résidentiel bourgeois, a obtenu son diplôme dans l’une des meilleures universités américaines et pousse sans cesse son fils à gravir les échelons universitaires. 

A de nombreuses reprises, Ruth ferme les yeux sur des attitudes offensantes que peuvent avoir ses collègues blancs et préfère leur trouver des excuses. De même, elle a parfois tendance à oublier ses origines. Ainsi, alors que sa mère lui avait dit de ne jamais oublier d’où elle venait, elle s’interroge : 

« Et comme elle n’avait cessé de me pousser hors du nid depuis que j’étais toute petite, pourquoi me demandait-elle à présent d’emporter avec moi les brindilles de ce nid ? Ne pouvais-je voler plus haut sans elles ? » 

page 249

Ce n’est pas un reniement total de ses origines car Ruth a bien conscience de tous les sacrifices que sa mère a fait pour qu’elle puisse s’élever. 

Si sa volonté de s’intégrer à tout prix sans jamais se révolter m’a quelques fois agacée, j’ai réalisé qu’elle menait en réalité une véritable lutte silencieuse. 

Le combat qu’elle mène ira à son paroxysme lorsqu’elle sera accusée à tort de la mort du bébé des Bauer. Mais toute la colère qui était en elle risque bien d’exploser à un moment crucial de l’histoire. 

Ils m’ont attaché les poignets, juste comme ça, comme si ce geste ne réveillait pas deux siècles d’histoire qui se sont aussitôt répandus dans mes veines avec la charge d’une décharge électrique. Sans penser un instant que je ressentirais ce qu’ont ressenti mon arrière-arrière-grand-mère et sa mère, debout sur l’estrade pendant la vente aux enchères des esclaves. Ils m’ont menottée sous les yeux de mon fils, mon fils à qui je répète depuis le jour de sa naissance qu’il est bien plus qu’une couleur de peau.” 

page 244

Kennedy quant à elle est l’archétype de la femme blanche ayant l’envie de sauver le monde. J’ai beaucoup aimé ce personnage, malgré son léger white savior complex (le complexe du sauveur blanc). Pétrie de bonnes intentions, elle refuse pourtant d’ouvrir les yeux sur la question raciale.

«  – Personnellement, je me fiche de ces histoires de couleur, déclare-t-elle. Je veux dire : la seule race qui importe c’est la race humaine, non ? 

C’est facile de prétendre qu’on est tous dans le même bateau quand la police n’a pas débarqué chez vous en pleine nuit. Mais je sais que, quand les Blancs racontent ces trucs-là, c’est parce qu’ils croient dur comme fer que c’est bien de les dire et pas une seconde ils ne se rendent compte de la nonchalance de leurs propos. » 

page 289

Elle finira cependant par comprendre la situation de ses concitoyens de couleur. A travers le personnage de Kennedy, c’est la prise de conscience de l’auteur elle-même qui transparaît. 

« – Je sais ce que vous pensez en ce moment : Je ne suis pas raciste, moi. C’est clair, nous avons eu un exemple vivant de ce qu’est le vrai racisme, incarné ici par Turk Bauer. Je doute que vous soyez nombreux, mesdames et messieurs les jurés, à croire, comme Turk, que vos enfants sont des guerriers de la race et que les Noirs sont des êtres tellement inférieurs qu’ils ne devraient pas même avoir le droit de toucher un bébé blanc. Pourtant, même si nous décidions d’envoyer tous les néonazis de cette planète sur Mars, le racisme existerait encore. Parce qu’en réalité le racisme ne se résume pas à la haine. Nous avons tous des préjugés, même si nous n’en sommes pas conscients. Ce qu’il faut savoir, c’est que le racisme est également lié à l’identité des personnes qui détiennent le pouvoir… Et qui y ont accès. Voyez-vous, lorsque j’ai commencé à travailler sur cette affaire, je ne me considérais pas comme quelqu’un de raciste. A présent, je sais que je le suis. Pas parce que je hais les personnes qui ne sont pas de la même race que moi, non, mais parce que – intentionnellement ou inconsciemment – j’ai profité de la couleur de ma peau, de la même manière que Ruth Jefferson a subi un grave revers à cause de la sienne. »

page 613

C’est pour ce genre de plaidoirie pleine de justesse et de vérité que j’aime beaucoup ce personnage. Mais Kennedy est aussi très drôle et de nombreuses situations avec sa fille, son mari et sa mère sont très cocasses. Ainsi, les parties du livre racontées du point de vue de Kennedy sont les bienvenues pour détendre l’atmosphère d’une lecture qui met en lumière autant d’injustices.   

Enfin, Turk est absolument insupportable. Toutefois, son récit est intéressant car il permet de mieux comprendre les rouages des organisations suprémacistes. On y découvre leur méthode de recrutement et leur façon de semer la terreur. On apprend surtout que bien souvent il s’agit de personnes extrêmement mal dans leur peau qui font souffrir pour oublier leur souffrance. 

« Je savais ce que ça faisait de faire souffrir, juste pendant quelques instants, au lien de souffrir soi-même » 

page 233 

Je ne vais pas gâcher votre plaisir en dévoilant l’évolution de Turk Bauer et je laisse à chacun l’opportunité de découvrir sa destinée à la fin du roman ainsi que les rebondissements rencontrés par sa famille. 

Ce récit à trois voix permet de comprendre véritablement les problèmes rencontrés par les personnes de couleur aux Etats-Unis et le poids du passé du pays sur ces citoyens. Cette situation est loin d’être un cas isolé et ce genre de problématiques se retrouvent également en France. C’est pourquoi j’espère que cette lecture permettra aux lecteurs d’ouvrir les yeux et de prendre réellement conscience des injustices subies par leurs concitoyens.

L’auteur

Jodi Picoult est une auteure américaine bien connue. Elle avoue avoir mis du temps à écrire ce roman en raison de la difficulté d’aborder la question raciale lorsqu’on n’est pas soi-même victime de discrimination. Finalement, elle aura trouvé le meilleur moyen de le faire avec ce roman et comme elle l’écrit elle-même dans sa postface : 

« Je voulais écrire cette histoire à l’attention de ma propre communauté – les Blancs – qui, si elle sait très bien montrer du doigt un skinhead néonazi en le traitant de raciste, éprouve davantage de difficultés à discerner les pensées racistes qu’elle porte en elle. »

Lectures diverses

Une brève histoire du temps, Stephen Hawking

Cependant, si nous découvrons une théorie complète, elle devrait un jour être compréhensible dans ses grandes lignes par tout le monde, et non par une poignet de scientifiques. Alors, nous tous, philosophes, scientifiques et même gens de la rue, serons capables de prendre part à la discussion sur la question de savoir pourquoi l’univers et nous existons. Si nous trouvons la réponse à cette question, ce sera le triomphe ultime de la raison humaine – à ce moment, nous connaîtrons la pensée de Dieu. 

Page 220

Informations générales

  • Année de parution : 1988
  • Genre : Vulgarisation scientifique
  • Nombre de pages : 237

Résumé

Stephen Hawking signe son premier livre destiné aux non-spécialistes. Il expose, avec simplicité et une touche de poésie, les développements de l’astrophysique de son époque concernant la nature du temps et de l’Univers. 

Ainsi, il nous fait découvrir les théories de Galilée ou celles d’Einstein, explique la nature des trous noirs et nous fait partager son rêve de découvrir une théorie unitaire combinant et unifiant la relativité générale et la mécanique quantique. En effet, pour lui, l’ultime but de la science est de fournir une théorie unique qui décrive l’Univers dans son ensemble. 

Au fond, ce que cherche véritablement Stephen Hawking c’est de comprendre les intentions qui ont menées à la Création.

« Ce qui signifierait que Dieu, étant omniprésent, aurait pu faire démarrer l’Univers à sa guise. Peut-être en est-il ainsi mais, dans ce cas, Dieu aurait dû aussi le développer d’une façon complètement arbitraire. Pourtant, il apparaît qu’il a choisi de le faire évoluer d’une façon très régulière, selon certaines lois. » 

pages 29-30

Pour moi, un des aspects magiques des livres, c’est qu’ils nous ouvrent les portes d’un univers infini de connaissances. C’est particulièrement le cas lorsque l’un des plus grands physiciens partage avec nous une partie de son pouvoir. 

« Mais jamais, depuis l’aube de la civilisation, les hommes ne se sont accommodés d’évènements hors cadre et inexplicables. Ils ont toujours eu soif de comprendre l’ordre sous-jacent dans le monde. Aujourd’hui, nous avons encore très envie de savoir pourquoi nous sommes là et d’où nous venons. Ce désir de savoir, chevillé à l’humanité, est une justification suffisante pour que notre quête continue. Et notre but n’est rien moins qu’une description complète de l’Univers dans lequel nous vivons. » 

page 33 

Je vous propose un petit résumé de ce que j’ai appris au cours de cette lecture ! 

Ce que j’ai appris 

J’ai pu avoir un début de compréhension, dans ses grandes lignes, de la théorie de la relativité. J’ai compris que son postulat fondamental est le fait que les lois de la physique devraient être les mêmes pour tous les observateurs en mouvement à n’importe quelle vitesse. C’est de cette théorie que sont nés deux autres principes, à savoir le principe de l’équivalence de la masse et de l’énergie, avec la célèbre formule E = MC2 et le principe selon lequel rien ne peut se déplacer plus vite que la vitesse de la lumière (sauf moi quand j’entends qu’on passe à table). 

Stephen Hawking nous entraîne aussi dans les réflexions d’Albert Einstein à travers le long chemin qui l’a conduit à élaborer sa théorie de la Relativité Générale. C’est en 1915, qu’Einstein la propose après avoir tenté d’expliquer la théorie de la Relativité restreinte. Avec la théorie de la Relativité Générale, il va démontrer que l’espace-temps est courbé par la masse et l’énergie qu’il contient. Il prédit également que le temps devrait apparaître plus lent près d’un corps massif comme la Terre. 

J’ai aussi appris que l’Univers s’étend d’environ 5 à 10% tous les milliards d’années. Je n’ai pas totalement compris comment ni pourquoi mais c’est aussi la question que se pose de nombreux scientifiques. 

J’ai adoré apprendre comment se forment les étoiles. Elles se forment lorsqu’une grande quantité de gaz s’effondre sur elle-même à cause de l’attraction gravitationnelle. A ce moment, c’est la fête, les atomes de gaz se heurtent de plus en plus vite et de plus en plus souvent, ce qui entraîne un réchauffement du gaz.

L’hydrogène devient si chaud que lorsque les atomes entrent en collision, ils ne rebondissent plus au loin mais s’unissent pour former de l’hélium, un peu comme les sessions zouk en fin de soirée où tout le monde fini collé-serré. C’est la chaleur dégagée pendant cette réaction qui explique pourquoi les étoiles brillent. La chaleur augmente la pression du gaz et contrebalance l’attraction gravitationnelle. Ainsi, le gaz cesse de se contracter. Une étoile est née !

Une des choses qui m’impressionne le plus dans l’Univers, ce sont les trous noirs. J’ai donc beaucoup aimé les explications de Stephen Hawking à ce sujet. Tout commence avec la mort d’une étoile. Une étoile meurt quand elle a brûlé toutes ses réserves (son hydrogène et d’autres carburants nucléaires). Elle fini par se refroidir et se contracter. 

La découverte des trous noirs a été longue et leur existence a longtemps été remise en question. Stephen Hawking retrace tout le questionnement qui a mené à leur découverte. Il y eu d’abord un étudiant indien, Subrahmanyan Chandrasekhar, qui se posa la question de la grosseur que devait avoir une étoile pour supporter sa propre masse après avoir brulé ses réserves. Oui, oui, il y a des étudiants qui se posent ce genre de questions. 

Il découvrit que les étoiles d’une masse supérieure à une masse limite (appelée limite de Chandrasekhar) s’effondrent sur elles-mêmes jusqu’à n’être plus qu’un point. Cela amena divers questionnements et des débats scientifiques intenses. Même Einstein avait du mal à admettre l’existence des trous noirs. 

Finalement, les divers travaux ont démontré que plus une étoile se contracte, plus le champ gravitationnel à sa surface devient intense et la lumière est déviée vers l’intérieur. Il devient de plus en plus difficile à la lumière de s’échapper et l’étoile devient plus sombre. Quand l’étoile est rétrécie jusqu’à un rayon critique, la lumière ne pourra plus s’échapper. Or, comme rien ne peut aller plus vite que la vitesse de la lumière comme on l’a vu, alors si lumière ne peut plus s’échapper rien d’autre ne le peut. 

Parmi ces travaux, Stephen Hawking a participé à démontrer que les trous noirs émettent des flots de rayons X et de rayons gamma. 

Il faut rappeler qu’à l’époque où Stephen Hawking a écrit ce livre, aucun trou noir n’avait jamais été observé. En 2019, une équipe internationale d’astrophysiciens a présenté la première photo d’un trou noir. Il s’agit du trou noir super massif M87* situé au coeur de la galaxie M87 ! Avec cette photo, on découvre une illustration exacte de ce que Stephen Hawking avait décrit dans son livre ! Magique … 

L’auteur


Stephen William Hawking, physicien et cosmologiste britannique, est surement l’un des esprits les plus brillants de notre époque contemporaine. Même les jours de sa naissance et de sa mort témoignent de son caractère exceptionnel. En effet, il est né le 8 janvier 1942, soit 300 ans jours pour jours après la mort de Galilée (8 janvier 1642) et mort le 14 mars 2018, la journée de Pi et le jour de l’anniversaire d’Albert Einstein (14 mars 1879). 

Ses travaux, notamment sur les trous noirs, l’ont rendu célèbre dans le monde entier. Ainsi, ceux qu’il a mené avec Roger Penrose, ont permis l’élaboration du théorème des singularités, qui détermine sous quelles conditions la formation d’un trou noir est inéluctable, et la prédiction que les trous noirs devraient émettre un rayonnement, appelé rayonnement de Hawking. 

Doté d’une intelligence exceptionnelle, il fut l’un des plus jeunes membres élus de la Royal Society en 1974. 

Cependant, il souffrait d’une forme rare de sclérose latérale amyotrophique (SLA ou maladie de Charcot) qui s’est déclarée lorsqu’il avait une vingtaine d’années et qui le paralysa progressivement. Il ne pouvait plus se nourrir seul et devint incapable de parler. A la suite d’une pneumonie, les médecins ont même pensé à arrêter les traitements. 

Sa femme se battit pour qu’on le maintienne en vie et il réussi à guérir de sa pneumonie. Afin qu’il puisse communiquer, diverses technologies ont été mises à contribution. Ainsi, il communiqua d’abord grâce à un dispositif alliant un commutateur dans sa main lui permettant d’écrire sur un ordinateur avec un synthétiseur vocal qui lisait ce qu’il venait de taper. 

Lorsqu’il perdit l’usage de ses mains, un capteur infrarouge fixé à une branche de ses lunettes détectaient les contractions d’un muscle de sa joue pour sélectionner les lettres une à une sur un clavier virtuel d’une tablette lui permettant ainsi d’exprimer cinq mots à la minute et de continuer à enseigner à l’Université de Cambridge jusqu’à 2009. Intel développa ensuite une nouvelle interface basée sur la reconnaissance faciale des mouvements de ses lèvres et sourcils. 

Toutes ces difficultés ne l’ont pas empêché de mener brillamment ses différents travaux et de recevoir de nombreuses récompenses (Commandeur de l’ordre de l’empire britannique en 1982, médaille présidentielle de la liberté aux Etats-Unis en 2009 etc.)

Il est donc assez formidable qu’un esprit aussi brillant et complexe, ayant autant de difficultés à communiquer à cause de sa maladie, ai pu nous faire partager ses pensées au sein d’ouvrages de vulgarisation scientifique aussi géniaux. Son livre Une brève histoire du temps fut d’ailleurs l’un des ouvrages du genre ayant rencontré le plus grand succès. 

Lectures diverses

1984, George Orwell

Le crime de penser n’entraîne pas la mort. Le crime de penser est la mort.

Partie I, Chapitre 2

Informations générales

  • Année de parution : 1949
  • Genre : Roman dystopique 
  • Nombre de pages : 376 

Résumé

En 1984, trente ans après une guerre nucléaire entre l’Est et l’Ouest, le monde est divisé en trois grandes puissances, l’Océania, l’Eurasia et l’Estasia. Ces trois puissances se livrent une guerre perpétuelle pour le contrôle des quelques territoires restants sur la terre. Toutes sont gouvernées par des régimes totalitaires. 

L’histoire se déroule en Grande-Bretagne, désormais située en Océania, dans laquelle règne un régime totalitaire inspiré du nazisme et du stalinisme ayant pour idéologie l’Angsoc (Ingsoc en version originale). Big Brother, éternel chef suprême, est à la tête de ce système. 

Dans ce système, tous les habitants sont soumis à un contrôle permanent. Des télécrans (telescreen) les fixent et leurs moindres faits et gestes peuvent les condamner à mort. La liberté de penser et d’expression n’existent plus. La société est divisée en trois catégories sociales : le Parti Intérieur est la classe dirigeante, le Parti Extérieur regroupe les travailleurs moyens, et les Prolétaires sont au bas de l’échelle. 

Winston, un londonien employé du Ministère de la Vérité, est chargé de falsifier les archives historiques afin qu’elles soient en accord avec l’idéologie du Parti. Ouvrant de plus en plus les yeux sur sa condition et sur la réalité du monde dans lequel il vit, il décide de résister. Réalisant qu’il n’est pas seul à penser ainsi, il nourrit l’espoir que le monde change. Cependant, la Police de la Pensée le surveille étroitement.

Avis et analyse 

Il y a des livres qui nous marquent à jamais et 1984 est certainement l’un d’entre eux. Je suis restée sous le choc à la fin de ma lecture. Je ne dévoilerai pas la fin mais je dirais simplement que, pour moi, c’est elle qui fait de ce livre un chef d’oeuvre, certes terrifiant, mais un chef d’oeuvre tout de même. 

D’abord, l’écriture est magnifique. J’ai préféré la version originale à la traduction française donc, si vous le pouvez, je vous conseille de le lire en anglais. On est à la fois émerveillé à chaque lueur d’espoir et horrifié devant la cruauté et l’aspect visionnaire du récit. J’ai du, à plusieurs reprises, fermer mon livre et reprendre mon souffle avant de continuer. L’auteur réussit à faire peser sur le lecteur la pression qui pèse sur les personnages pour, au final, nous retourner littéralement le cerveau. 

Ensuite, ce roman est d’une incroyable justesse concernant les dangers du totalitarisme. Il fait partie de la culture moderne et, même sans l’avoir lu, beaucoup ont déjà entendu parler de Big Brother et du fameux slogan “Big Brother is watching you”. 

Loin de moi l’idée de procéder à une analyse exhaustive de tous les thèmes importants abordés dans ce roman. J’aborderai simplement quelques aspects du récit et j’espère vous donner envie de le découvrir ou de le redécouvrir. 

Les principes sacrés de l’Angsoc. Novlangue, double-pensée, mutabilité du passé. Winston avait l’impression d’errer dans les forêts des profondeurs sous-marines, perdu dans un monde monstrueux dont il était lui-même le monstre. Il était seul. Le passé était mort, le futur inimaginable.” 

Partie I, Chapitre 2 

Le contrôle du langage pour contrôler la pensée

Le Parti a pour projet l’instauration d’une nouvelle langue, la Novlangue (Newspeak), vouée à remplacer l’anglais. Cette nouvelle langue est plus conforme à l’idéologie du Parti. Le principe consiste à assembler des mots afin de diminuer le vocabulaire existant. Par exemple, le mot télécran est l’assemblage des mots télé et écran. 

Le but ultime de cette nouvelle langue est d’empêcher la survenance de toute pensée contraire à l’idéologie Angsoc. Voici un extrait dans lequel un employé du Service des Recherches, Syme, explique à Winston le fonctionnement de la Novlangue : 

Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os”. 

Partie I, Chapitre 5 

Plus précisément :

C’est une belle chose, la destruction des mots. Naturellement, c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez
« bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « double-plusbon ». Naturellement, nous employons déjà ces formes, mais dans la version définitive du novlangue, il n’y aura plus rien d’autre. En résumé, la notion complète du bon et du mauvais sera couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot. Voyez-vous, Winston, l’originalité de cela ? Naturellement, ajouta-t-il après coup, l’idée vient de Big Brother.
” 

Partie I, Chapitre 5 

La suppression de nombreux mots de vocabulaire rend impossible toute argumentation pour exprimer clairement sa pensée. Ainsi, la réduction du vocabulaire permet la réduction de la pensée. On y voit aussi un moyen de maintenir le peuple a un faible niveau de réflexion afin d’exercer un contrôle absolu sur lui sans risquer la moindre contestation. 

En effet, le simple fait de penser par soi-même est un véritable crime et la Police de la Pensée n’est jamais loin. C’est d’ailleurs pour cela qu’un nouveau mode de penser a été mis en place.

La doublepensée, une logique inversée

Le slogan du Parti ne manquera pas d’étonner le lecteur : 

LA GUERRE C’EST LA PAIX 

LA LIBERTÉ C’EST L’ESCLAVAGE 

L’IGNORANCE C’EST LA FORCE

Avec ce slogan, le Parti fait accepter au peuple l’inacceptable. La guerre n’est plus un état exceptionnel mais un état permanent, la liberté n’existe plus et l’ignorance est valorisée comme une force. 

Ce slogan est une parfaite illustration du principe de la Doublepensée (Doublethink) qui consiste à accepter deux points de vue contraires. Dans le système de l’Angsoc, tous les habitants doivent exercer la doublepensée, ce qui contribue à éliminer tout esprit critique. 

Connaître et ne pas connaître. En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot « double pensée » impliquait l’emploi de la double pensée.” 

Partie I, Chapitre 3

Cette invention de George Orwell est, pour moi, véritablement révélatrice de son génie. Je ne sais quelles étaient les profondeurs de ses réflexions pour réussir à inventer un tel système mais le contrôle de la pensée est le fil conducteur du récit, personne n’y échappe, pas même le lecteur. 

La mutabilité du passé

Tout doit être au service de l’Angsoc et rien ne peut contredire sa toute-puissance. Dans cette optique, le contrôle du présent et la maîtrise de l’avenir ne sont pas suffisants, il faut en plus réécrire le passé. 

Celui qui a le contrôle du passé, disait le slogan du Parti, a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé.” 

Partie I, Chapitre 3

C’est précisément le métier de Winston au Ministère de la Vérité.  

Jour par jour, et presque minute par minute, le passé était mis à jour. On pouvait ainsi prouver, avec documents à l’appui, que les prédictions faites par le Parti s’étaient trouvées vérifiées. Aucune opinion, aucune information ne restait consignée, qui aurait pu se trouver en conflit avec les besoins du moment. L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire. Le changement effectué, il n’aurait été possible en aucun cas de prouver qu’il y avait eu falsification”. 

Partie I, chapitre 4

C’est ici un thème assez classique qui est abordé : le contrôle des médias et la censure. George Orwell s’est inspiré de régimes totalitaires pour écrire son roman, il n’est donc pas étonnant de retrouver ces éléments. Mais au delà de la simple censure, c’est ici la complète réécriture de l’histoire qui a lieu. Cette volonté de contrôler l’information est toujours utilisée à travers les nombreuses fake news bien souvent diffusées par des milieux ayant certaines affinités pour les régimes totalitaires.  

Le passé, réfléchit-il, n’avait pas été seulement modifié, il avait été bel et bien détruit. Comment en effet établir, même le fait le plus patent, s’il n’en existait aucun enregistrement que celui d’une seule mémoire ?” 

Partie I, Chapitre 3

Conclusion

Lire 1984 n’est pas simplement lire un des plus grands romans de la littérature mondiale, c’est aussi lire une véritable mise en garde contre les dérives du totalitarisme et contre toutes les privations de liberté. Lire 1984, c’est une prise de conscience. 

Une prise de conscience plus que nécessaire à notre époque où l’on a tendance à renier nos libertés au nom de la sécurité. La menace terroriste devient prétexte à toujours plus de contrôle, de surveillance et de remise en cause de la vie privée. 

A l’heure où les caméras sont de plus en plus présentes dans nos vies, où l’intelligence artificielle dépasse les capacités du cerveau humain et où des pays attribuent des points à leurs citoyens, l’avertissement de 1984 semble plus que jamais d’actualité. 

L’auteur


George Orwell, de son vrai nom Eric Blair, est né en 1903 en Inde et mort en 1950 à Londres. Il fut un écrivain et journaliste britannique. Il est particulièrement connu pour ses romans 1984 et La Ferme des animaux à travers lesquels il met en garde contre les totalitarismes. Sa postérité est telle que l’adjectif orwellien est devenu une référence à l’univers totalitaire qu’il a imaginé. 

Ses engagements et positions politiques apparaissent clairement dans ses oeuvres et sont le reflet de son expérience. Ainsi, après avoir été représentant des forces de l’ordre colonial en Birmanie, il n’aura de cesse de dénoncer l’impérialisme britannique (notamment dans Une histoire birmane, un de ses premiers romans). 

Véritable visionnaire, il lutte pour l’égalité sociale et contre les injustices. Il n’a d’ailleurs pas hésité à partager la vie de marginaux afin de mieux les comprendre et à participer à la guerre d’Espagne afin de combattre contre Franco. Il était aussi déjà conscient de l’état de la planète et déplorait le gaspillage des ressources énergétiques.

Tous ses écrits à partir de 1946 sont une lutte contre le totalitarisme. En janvier 2008, le magazine Times le classa deuxième parmi les cinquante plus grands écrivains britanniques depuis 1945.