Le crime de penser n’entraîne pas la mort. Le crime de penser est la mort.
Partie I, Chapitre 2

Informations générales
- Année de parution : 1949
- Genre : Roman dystopique
- Nombre de pages : 376
Résumé
En 1984, trente ans après une guerre nucléaire entre l’Est et l’Ouest, le monde est divisé en trois grandes puissances, l’Océania, l’Eurasia et l’Estasia. Ces trois puissances se livrent une guerre perpétuelle pour le contrôle des quelques territoires restants sur la terre. Toutes sont gouvernées par des régimes totalitaires.
L’histoire se déroule en Grande-Bretagne, désormais située en Océania, dans laquelle règne un régime totalitaire inspiré du nazisme et du stalinisme ayant pour idéologie l’Angsoc (Ingsoc en version originale). Big Brother, éternel chef suprême, est à la tête de ce système.
Dans ce système, tous les habitants sont soumis à un contrôle permanent. Des télécrans (telescreen) les fixent et leurs moindres faits et gestes peuvent les condamner à mort. La liberté de penser et d’expression n’existent plus. La société est divisée en trois catégories sociales : le Parti Intérieur est la classe dirigeante, le Parti Extérieur regroupe les travailleurs moyens, et les Prolétaires sont au bas de l’échelle.
Winston, un londonien employé du Ministère de la Vérité, est chargé de falsifier les archives historiques afin qu’elles soient en accord avec l’idéologie du Parti. Ouvrant de plus en plus les yeux sur sa condition et sur la réalité du monde dans lequel il vit, il décide de résister. Réalisant qu’il n’est pas seul à penser ainsi, il nourrit l’espoir que le monde change. Cependant, la Police de la Pensée le surveille étroitement.
Avis et analyse
Il y a des livres qui nous marquent à jamais et 1984 est certainement l’un d’entre eux. Je suis restée sous le choc à la fin de ma lecture. Je ne dévoilerai pas la fin mais je dirais simplement que, pour moi, c’est elle qui fait de ce livre un chef d’oeuvre, certes terrifiant, mais un chef d’oeuvre tout de même.
D’abord, l’écriture est magnifique. J’ai préféré la version originale à la traduction française donc, si vous le pouvez, je vous conseille de le lire en anglais. On est à la fois émerveillé à chaque lueur d’espoir et horrifié devant la cruauté et l’aspect visionnaire du récit. J’ai du, à plusieurs reprises, fermer mon livre et reprendre mon souffle avant de continuer. L’auteur réussit à faire peser sur le lecteur la pression qui pèse sur les personnages pour, au final, nous retourner littéralement le cerveau.
Ensuite, ce roman est d’une incroyable justesse concernant les dangers du totalitarisme. Il fait partie de la culture moderne et, même sans l’avoir lu, beaucoup ont déjà entendu parler de Big Brother et du fameux slogan “Big Brother is watching you”.
Loin de moi l’idée de procéder à une analyse exhaustive de tous les thèmes importants abordés dans ce roman. J’aborderai simplement quelques aspects du récit et j’espère vous donner envie de le découvrir ou de le redécouvrir.
“Les principes sacrés de l’Angsoc. Novlangue, double-pensée, mutabilité du passé. Winston avait l’impression d’errer dans les forêts des profondeurs sous-marines, perdu dans un monde monstrueux dont il était lui-même le monstre. Il était seul. Le passé était mort, le futur inimaginable.”
Partie I, Chapitre 2
Le contrôle du langage pour contrôler la pensée
Le Parti a pour projet l’instauration d’une nouvelle langue, la Novlangue (Newspeak), vouée à remplacer l’anglais. Cette nouvelle langue est plus conforme à l’idéologie du Parti. Le principe consiste à assembler des mots afin de diminuer le vocabulaire existant. Par exemple, le mot télécran est l’assemblage des mots télé et écran.
Le but ultime de cette nouvelle langue est d’empêcher la survenance de toute pensée contraire à l’idéologie Angsoc. Voici un extrait dans lequel un employé du Service des Recherches, Syme, explique à Winston le fonctionnement de la Novlangue :
“Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os”.
Partie I, Chapitre 5
Plus précisément :
“C’est une belle chose, la destruction des mots. Naturellement, c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez
« bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « double-plusbon ». Naturellement, nous employons déjà ces formes, mais dans la version définitive du novlangue, il n’y aura plus rien d’autre. En résumé, la notion complète du bon et du mauvais sera couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot. Voyez-vous, Winston, l’originalité de cela ? Naturellement, ajouta-t-il après coup, l’idée vient de Big Brother.”
Partie I, Chapitre 5
La suppression de nombreux mots de vocabulaire rend impossible toute argumentation pour exprimer clairement sa pensée. Ainsi, la réduction du vocabulaire permet la réduction de la pensée. On y voit aussi un moyen de maintenir le peuple a un faible niveau de réflexion afin d’exercer un contrôle absolu sur lui sans risquer la moindre contestation.
En effet, le simple fait de penser par soi-même est un véritable crime et la Police de la Pensée n’est jamais loin. C’est d’ailleurs pour cela qu’un nouveau mode de penser a été mis en place.
La doublepensée, une logique inversée
Le slogan du Parti ne manquera pas d’étonner le lecteur :
LA GUERRE C’EST LA PAIX
LA LIBERTÉ C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE C’EST LA FORCE
Avec ce slogan, le Parti fait accepter au peuple l’inacceptable. La guerre n’est plus un état exceptionnel mais un état permanent, la liberté n’existe plus et l’ignorance est valorisée comme une force.
Ce slogan est une parfaite illustration du principe de la Doublepensée (Doublethink) qui consiste à accepter deux points de vue contraires. Dans le système de l’Angsoc, tous les habitants doivent exercer la doublepensée, ce qui contribue à éliminer tout esprit critique.
“Connaître et ne pas connaître. En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot « double pensée » impliquait l’emploi de la double pensée.”
Partie I, Chapitre 3
Cette invention de George Orwell est, pour moi, véritablement révélatrice de son génie. Je ne sais quelles étaient les profondeurs de ses réflexions pour réussir à inventer un tel système mais le contrôle de la pensée est le fil conducteur du récit, personne n’y échappe, pas même le lecteur.
La mutabilité du passé
Tout doit être au service de l’Angsoc et rien ne peut contredire sa toute-puissance. Dans cette optique, le contrôle du présent et la maîtrise de l’avenir ne sont pas suffisants, il faut en plus réécrire le passé.
“Celui qui a le contrôle du passé, disait le slogan du Parti, a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé.”
Partie I, Chapitre 3
C’est précisément le métier de Winston au Ministère de la Vérité.
“Jour par jour, et presque minute par minute, le passé était mis à jour. On pouvait ainsi prouver, avec documents à l’appui, que les prédictions faites par le Parti s’étaient trouvées vérifiées. Aucune opinion, aucune information ne restait consignée, qui aurait pu se trouver en conflit avec les besoins du moment. L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire. Le changement effectué, il n’aurait été possible en aucun cas de prouver qu’il y avait eu falsification”.
Partie I, chapitre 4
C’est ici un thème assez classique qui est abordé : le contrôle des médias et la censure. George Orwell s’est inspiré de régimes totalitaires pour écrire son roman, il n’est donc pas étonnant de retrouver ces éléments. Mais au delà de la simple censure, c’est ici la complète réécriture de l’histoire qui a lieu. Cette volonté de contrôler l’information est toujours utilisée à travers les nombreuses fake news bien souvent diffusées par des milieux ayant certaines affinités pour les régimes totalitaires.
“Le passé, réfléchit-il, n’avait pas été seulement modifié, il avait été bel et bien détruit. Comment en effet établir, même le fait le plus patent, s’il n’en existait aucun enregistrement que celui d’une seule mémoire ?”
Partie I, Chapitre 3
Conclusion
Lire 1984 n’est pas simplement lire un des plus grands romans de la littérature mondiale, c’est aussi lire une véritable mise en garde contre les dérives du totalitarisme et contre toutes les privations de liberté. Lire 1984, c’est une prise de conscience.
Une prise de conscience plus que nécessaire à notre époque où l’on a tendance à renier nos libertés au nom de la sécurité. La menace terroriste devient prétexte à toujours plus de contrôle, de surveillance et de remise en cause de la vie privée.
A l’heure où les caméras sont de plus en plus présentes dans nos vies, où l’intelligence artificielle dépasse les capacités du cerveau humain et où des pays attribuent des points à leurs citoyens, l’avertissement de 1984 semble plus que jamais d’actualité.
L’auteur

George Orwell, de son vrai nom Eric Blair, est né en 1903 en Inde et mort en 1950 à Londres. Il fut un écrivain et journaliste britannique. Il est particulièrement connu pour ses romans 1984 et La Ferme des animaux à travers lesquels il met en garde contre les totalitarismes. Sa postérité est telle que l’adjectif orwellien est devenu une référence à l’univers totalitaire qu’il a imaginé.
Ses engagements et positions politiques apparaissent clairement dans ses oeuvres et sont le reflet de son expérience. Ainsi, après avoir été représentant des forces de l’ordre colonial en Birmanie, il n’aura de cesse de dénoncer l’impérialisme britannique (notamment dans Une histoire birmane, un de ses premiers romans).
Véritable visionnaire, il lutte pour l’égalité sociale et contre les injustices. Il n’a d’ailleurs pas hésité à partager la vie de marginaux afin de mieux les comprendre et à participer à la guerre d’Espagne afin de combattre contre Franco. Il était aussi déjà conscient de l’état de la planète et déplorait le gaspillage des ressources énergétiques.
Tous ses écrits à partir de 1946 sont une lutte contre le totalitarisme. En janvier 2008, le magazine Times le classa deuxième parmi les cinquante plus grands écrivains britanniques depuis 1945.
Très bonne analyse et présentation de cette œuvre qui donne envie de s’y plonger en profondeur et découvrir sa fin qui semble lui donner tout son sens, selon tes mots. Hâte de lire tes prochains articles !
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Merci beaucoup pour ce retour très encourageant !
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