Interview

Interview de Matthieu Gama, auteur de l’essai « Le jour où les Antilles feront peuple »

Nos rêves sont l’étincelle de vitalité qui allume le feu de nos ambitions. 

Matthieu GAMA

Aujourd’hui je vais vous parler d’un petit essai contenant de grands projets. Ne vous fiez pas à sa petite taille, parfois il suffit de quelques pages pour faire évoluer notre vision des choses. A travers son ouvrage, Matthieu Gama nous livre sa vision et l’ambition qu’il nourrit pour son peuple. 

Avec simplicité et finesse, il nous explique l’histoire des Antilles et les traumatismes qui en découlent. Les thèses exposées par Fanon, Césaire ou encore Cheikh Anta Diop y sont analysées et intelligemment utilisées pour expliquer les problématiques qui sévissent aux Antilles et qui empêchent ses ressortissants d’être un véritable peuple. 

En effet, c’est bien la question de savoir ce qui constitue un peuple qui est au coeur de l’ouvrage. Cette question est d’autant plus importante en ce qui concerne les Antillais, peuple déraciné au passé complexe. 

L’auteur nous explique également les raisons pour lesquels les Antillais ont tant de mal à faire preuve de solidarité à travers les traumatismes de l’esclavage. De la séparation des familles dans différentes plantations à la peur des colons d’une union des esclaves qui leur serait fatale, les causes de division sont nombreuses.  

Au fond toutes ces interrogations peuvent se résumer aux questions : qui sommes nous ? Avons-nous un projet commun ? Où allons-nous ? 

Une fois l’histoire et le contexte sociologique et psychologique analysés et la problématique posée, l’auteur exhorte les siens à dépasser leurs blessures pour aller vers la résilience collective. 

J’ai été très sensible aux idées développées comme celle de la création d’écoles caribéennes dont l’enseignement correspondrait mieux à l’histoire et à la géographie de la région ou encore la plus grande implication des Antilles françaises dans les organisations régionales caribéennes. 

Comme le dit si bien Matthieu Gama dans son essai : 

« Il nous faut sortir de la logique victimaire pour avancer en plein lumière vers ce que nous souhaitons devenir collectivement ». 

page 164 (ebook)

J’ai énormément de choses à dire sur ce livre mais je ne veux pas vous spoiler donc je vais laisser la parole ou plutôt la plume à l’auteur qui a gentiment accepté de répondre à quelques questions ! 

Peux-tu te présenter en quelques lignes et nous parler de l’Usine à rêves ? 

Matthieu GAMA : Je suis un Rêveur ! D’aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu entreprendre des projets qui n’étaient pas en adéquation avec mon âge : en CM1, en Guadeloupe, j’ai entraîné tous mes camarades de classe dans une représentation théâtrale d’Haiti Chérie de Maryse Condé. Et guess what ? We did it ! On l’a joué deux années de suite au spectacle de fin d’année de l’école ! Pour répondre complètement à ta question, je suis  Huissier de Justice en Martinique, marié et père de trois enfants.

L’usine à Rêves, c’est un rêve concrétisé : c’est une opportunité que j’ai su exploiter. Je t’explique : face au climat anxiogène de la société, j’ai voulu créer un espace de co-création et de reappropriation de notre capacité universelle à se projeter dans un avenir meilleur. J’ai invité des gens sur ce pitch là et cela a eu un succès inattendu. J’ai réussi à réunir des gens qui ne se connaissaient pas autour de cette seule idée de rêver ensemble.

Qu’est-ce qui t’as poussé à écrire cet essai ? 

Matthieu GAMA : C’est l’usine à Rêves qui m’a naturellement emmené à écrire, et à écrire cet essai, je l’explique dans le livre et je ne voudrais pas tout dévoiler !

Quel est le livre dont tu recommandes la lecture ? 

Matthieu GAMA : Je cite tellement d’auteurs dans mon essai qu’il a failli ressembler à une thèse ! Mais la réflexion sur l’antillanité, la négritude et la créolité est tellement fournie que c’était difficile de ne pas situer ma pensée par rapport à nos illustres auteur.e.s antillais.e.s. Et en même temps, la pensée antillaise est tellement dynamique que l’on ne peut pas l’assigner à résidence dans ces trois seuls concepts littéraires et philosophiques. Donc je recommanderais la lecture de l’ouvrage « discours sur le neo-colonialisme » de Fola Gadet, un auteur guadeloupéen vivant en Martinique, pour lequel j’ai un énorme respect, mais aussi l’ouvrage de l’artiste Murielle Bedot, « Petites histoires d’éducation : décolonisons la transmission ». Je trouve remarquable le courage dont elle fait preuve dans ses écrits. Il y a un surgissement identitaire résilient dans cette nouvelle vague littéraire qui me séduit au plus haut point.

Quel est l’auteur qui t’as le plus marqué ? 

Matthieu GAMA : L’auteur qui m’a le plus marqué ? Difficile de ne pas en citer deux : la première, Maryse Condé, je l’ai rencontrée en 1988, dans ma classe de CM1, et il s’est passé un truc ce jour là, j’avais déjà le goût de la lecture et elle m’a donné le goût de l’écriture. Je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui sans cette rencontre fabuleuse

Mais au même titre, je dois citer Ernest Pepin, mon père littéraire qui est le plus grand romancier antillais de tous les temps.  Si vous prenez le temps de lire La darse rouge par exemple, vous verrez de quel talent je parle. J’aimerais beaucoup pouvoir étudier son art pour un jour tenter le défi d’écrire un roman… mais je n’ai pas encore ce talent…

Quels sont tes futurs projets littéraires ? 

Matthieu GAMA : Mes futurs projets ? Oh my God, I’ve got so many ! J’aimerais écrire sur le thème de la femme antillaise à qui on colle une étiquette de poto mitan de la famille sans lui donner l’espace de vivre sa condition de femme, j’aimerais écrire sur le fait que les hommes se sentent rassurés lorsqu’ils vivent auprès d’une femme ronde et voluptueuse, j’aimerais publier un nouvel essai sur les sociétés amérindiennes premières des Antilles. Pour faire tout ca, je t’annonce en exclu mondiale que j’ai créé ma propre maison d’édition : les éditions Kalinas. C’est un nouveau défi personnel, professionnel et entrepreneurial mais j’en ai besoin pour rester en alerte intellectuellement !

Où peut-on trouver ton essai ? 

Matthieu GAMA : Mon essai est publié à compte d’auteur : j’ai tout financé moi-même parce que j’avais besoin de faire cette démarche d’accomplissement personnel et d’affirmation de soi. Ça a été compliqué par moments mais désormais j’ai une maîtrise du processus de création littéraire de la plume jusqu’au lecteur/lectrice. J’ai fait des choix forts en terme de stratégie : j’ai d’abord choisi de mettre mon livre à disposition du lectorat que mon essai intéresse au principal, les populations antillaises et guyanaises qui ont subi la colonisation française. Il est donc dans toutes les bonnes librairies de Guadeloupe et de Martinique mais aussi à Matoury. Il est également à Paris à la Librairie Calypso et bien sûr, je suis un enfant d’internet donc il peut être commandé sur Apple Books en ebook, et sur Amazon au format papier et en ebook.

J’aimerais finir cette interview en exprimant ma gratitude à toutes les personnes qui m’ont consacré de leur temps en me lisant, et en particulier à toi Kelly, qui fait un job formidable pour donner goût à d’autres de lire. Pour écrire, il faut d’abord aimer lire et pour ce que tu partages tous les jours sur tes réseaux, tu as toute ma reconnaissance. #gratitude #lejouroulesantillesferontpeuple

Merci à l’auteur pour ses réponses ! J’espère que cette petite interview vous aura donné envie de découvrir son oeuvre. Continuons à soutenir la création et le talent de nos artistes antillais !

Essais

Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet

La sorcière surgit au crépuscule, alors que tout semble perdu. Elle est celle qui parvient à trouver des réserves d’espoir au coeur du désespoir.

Page 30

Informations générales

  • Année de parution : 2018 
  • Genre : Essai féministe
  • Nombre de pages : 231

Analyse

Mona Chollet nous raconte l’histoire des chasses aux sorcières et analyse leur impact sur la place de la femme dans nos sociétés actuelles. Elle démontre que les chasses aux sorcières furent en réalité une chasse aux femmes libres et indépendantes et nous fait prendre conscience des conséquences de ces sombres épisodes sur notre perception de la femme. 

En achetant ce livre, je ne m’attendais pas à une telle remise en question. Je me suis rendue compte que j’avais encore beaucoup à apprendre sur le féminisme et que nombre de mes pensées étaient orientées par une conception de la femme façonnée par la société. 

Fascinée depuis petite par l’image de la sorcière, j’ai longtemps été persuadée que ma grand mère en était une (je reste persuadée de l’avoir vu s’envoler sur son aspirateur, ne me demandez pas pourquoi) et ceux qui lisent ce blog savent que je suis une grande fan de la saga Harry Potter. C’est donc tout naturellement que j’avais hâte de lire cet essai. 

Je souhaitais en effet en apprendre davantage sur la figure historique de la sorcière mais je ne m’attendais pas à ce que ce livre m’apporte autant. 

Une chasse aux femmes libres et indépendantes 

On a tous plus ou moins entendu parler des chasses aux sorcières. De Jeanne d’arc aux sorcières de Salem, de nombreuses femmes connurent les flammes du bûcher. Ce que l’on sait moins, c’est l’ampleur de ces chasses et le climat de terreur qui régnait sur les femmes à cette époque. 

« Plus largement, cependant, toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseurs de sorcières. Répondre à un voisin, parler haut, avoir un fort caractère ou une sexualité un peu trop libre, être une gêneuse d’une quelconque manière suffisait à vous mettre en danger. »

page 17 

Pendant plusieurs siècles on a accusé les femmes d’être porteuses du mal. Toute absence de soumission de leur part pouvait entraîner la mort. Je pensais que ces chasses dataient du Moyen Âge alors que la plupart des grandes chasses se sont déroulées à la Renaissance et qu’il y eut des exécutions jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. 

« La mise en scène publique des supplices, puissant instrument de terreur et de discipline collective, leur intimait de se montrer discrètes, dociles, soumises, de ne pas faire de vagues. En outre, elles ont du acquérir d’une manière ou d’une autre la conviction qu’elles incarnaient le mal ; elles ont dû se persuader de leur culpabilité et de leur noirceur fondamentales. » 

page 23 

Cette volonté d’écraser, d’asservir et de bâillonner les femmes a encore des conséquences de nos jours. 

« En anéantissant parfois des familles entières, en faisant régner la terreur, en réprimant sans pitié certains comportements et certaines pratiques considérées comme intolérables, les chasses aux sorcières ont contribué à façonner le monde qui est le nôtre. Si elles n’avaient pas eu lieu, nous vivrons probablement dans des sociétés très différentes. » 

page 13

Les conséquences sur notre vision actuelle de la femme 

Même si de nos jours, on ne brûle plus les femmes sur des bûchers (ce qui n’empêche pas les féminicides, violences sexuelles, violences physiques et morales, discriminations et autres amabilités), la figure de la sorcière reste omniprésente. 

« Une femme sûre d’elle, qui affirme ses opinions, ses désirs et ses refus, passe très vite pour une harpie, une mégère, à la fois aux yeux de son conjoint et aux yeux de son entourage. » 

page 154

Il n’est d’ailleurs pas rare de traiter une femme peu appréciée de « sorcière ». Il est aussi fréquent de  brandir la menace de « la vieille fille à chat » aux femmes célibataires. De même, une femme qui ose exprimer ses opinions haut et fort sera vite affublée du qualificatif d’ « hystérique ». Le spectre de la sorcière, femme folle ayant pour seul compagnie son fidèle chat noir, transparaît clairement derrière ces accusations. 

Ce rejet des sorcières explique que la vieillesse des femmes soit si mal vécue dans nos sociétés. La jeunesse est sans cesse valorisée et l’industrie cosmétique gagne des milliards en vendant des promesses anti-âge, qui ne sont ni plus ni moins que les nouvelles potions magiques promettant une jeunesse éternelle. Jeune, la femme doit se montrer douce et docile, vieille elle est écartée de l’espace public. L’auteure nous interroge : et si la peur des vieilles femmes masquait en réalité une peur des femmes d’expérience ? 

«  Des siècles de haine et d’obscurantisme semblent avoir culminé dans ce déchainement de violence, né d’une peur devant la place grandissante que les femmes occupaient alors dans l’espace social. »

page 20

Mona Chollet dénonce également le contrôle exercé par la société sur le corps de la femme. Si le culte de la jeunesse domine, il n’a pas les mêmes conséquences sur les hommes et les femmes. L’exemple qu’elle cite à propos des cheveux blancs est assez révélateur. En effet, on valorise les hommes aux cheveux dits « poivre et sel » et on a aucun mal à les considérer comme séduisants. En revanche, une femme portant des cheveux blancs sera considérée comme négligée et sera fortement incitée à les teindre.  

Cela m’a rappelé les diverses injonctions sur les tenues vestimentaires des femmes. Trop couvertes, elles sont des femmes soumises qui font du prosélytisme ou des femmes coincées qui ne savent pas se mettre en valeur. Pas assez couvertes, elles sont sommées de porter une « tenue républicaine ». Seins nus sur la plage, elles portent atteinte à la pudeur. Couvertes d’un burkini, elles portent atteinte à la laïcité. Je n’ai jamais entendu pareilles injonctions concernant la tenue des hommes. Pourquoi la société est-elle si obsédée par le contrôle des femmes jusqu’à contrôler leur manière de s’habiller ?

Un autre aspect du contrôle du corps des femmes s’illustre tristement par les diverses violences gynécologiques qui sont longuement abordées par l’auteure. Enfin, il y a aussi une réflexion intéressante sur l’analogie entre le contrôle du corps de la femme avec celui de la nature que je vous laisse découvrir au chapitre 4 intitulé « Mettre ce monde cul par-dessus tête. Guerre à la nature, guerre aux femmes ». 

La réappropriation de l’image de la sorcière

L’auteure se plait à imaginer un monde dans lequel les femmes n’auraient pas été brimées, un monde dans lequel elles auraient pu exprimer tout leur potentiel. 

A titre d’exemple, beaucoup de femmes accusées de sorcellerie étaient en réalité des guérisseuses et de véritables précurseuses en médecine, alors même que, bien souvent, les professions médicales leur étaient interdites. 

« Ce furent les sorcières qui développèrent une compréhension approfondie des os et des muscles, des plantes et des médicaments, alors que les médecins tiraient encore leur diagnostics de l’astrologie. » 

pages 217-218

Evidement, leur travail a été bien souvent approprié par des hommes. Cela m’a fait beaucoup réfléchir car j’ai souvent entendu parler des « grands hommes » et, à part Marie Curie, l’école ne nous parle pas vraiment de l’apport des femmes dans nos sociétés. De même, les noms des rues mettent rarement à l’honneur des femmes. 

« Les associer au Diable signifiait qu’elles avaient outrepassé le domaine auquel elles étaient censées se cantonner, et empiété sur les prérogatives masculines. » 

page 218

Ces tentatives d’empêcher les femmes de s’élever et d’effacer leur rôle dans la société sont maintenant dénoncées. Ainsi, différents mouvements féministes n’hésitent pas à se réapproprier l’image de la sorcière en tant que symbole de la puissance des femmes. 

L’auteur


Photo du site Revue Ballast

Née en 1973, Mona Chollet est une journaliste et actrice suisse. Elle est connue pour ses essais féministes. Elle commença sa carrière en tant que pigiste chez Charlie Hebdo puis quitta le journal après un désaccord avec le directeur de la rédaction. Elle est actuellement cheffe de la rédaction au Monde diplomatique.

Lectures diverses

La part du colibri, Pierre Rabhi

C’est ainsi que j’ouvrais les  yeux sur un monde en feu dans lequel il m’apparut que je devais faire ma part de colibri 

Page 37

Informations générales

  • Année de parution : 2014
  • Editeur : Editions de l’Aube
  • Genre : Essai
  • Nombre de pages : 144

Une nouvelle vision de l’écologie 

Depuis quelques années, il y a une véritable prise de conscience en matière d’écologie et de respect de l’environnement. La crise liée au Covid 19 que nous traversons renforce cet intérêt. Peut-on réellement continuer à vivre ainsi ? Quel est l’avenir de notre planète si nous continuons à ce rythme ? 

Pour répondre à ces questions, je vous propose un petit livre qui changera votre vision du monde. Cela peut sembler ambitieux pour un si petit livre mais je vous assure que sa lecture est vraiment capitale. 

Les illustrations de Pierre Lemaitre complètent bien cet ouvrage qui allie la prise de conscience à la poésie. 

La nécessité de changer de mode de vie

Pierre Rabhi part d’un constat assez simple. En dépit de toutes nos prouesses technologiques, on ne parvient pas à subvenir aux besoins de tous. Comment est-ce possible que des êtres humains meurent de faim alors qu’il y a toujours plus de gaspillage alimentaire ? Comment se fait-il que les femmes soient encore oppressées ? Que le monde animal soit dévasté à notre profit ? La raison principale est que nous exploitons notre planète jusqu’à la détruire plutôt que d’unir nos forces pour construire un monde meilleur. 

Cela semble des constats évidents et avant de lire cet ouvrage je me disais que si personne ne faisait rien c’était surement parce que changer les choses devait être bien trop compliqué. Après tout, cela semble compliquer de changer notre manière de consommer et si nous fonctionnons ainsi c’est surement pour une raison très logique. 

Pourtant, en lisant ce livre, j’ai réellement pris conscience de la totale absurdité de notre système. Par exemple, l’auteur nous explique qu’il faut donner 10 kilos de céréales à un boeuf pour obtenir un kilo de viande et que la moitié du territoire agricole français est mobilisé pour nourrir les animaux … De même, il faut 400 litres d’eau pour produire un kilo de maïs grain. Quelle est la logique dans ce mode d’exploitation ? 

« Nous passons notre temps à oublier, oublier que nous vivons sur une planète limitée à laquelle nous appliquons un principe illimité, ce qui accélère le processus d’épuisement des ressources et d’accroissement des inégalités structurelles, source de mécontentements, de frustrations et de conflits ». 

page 30

Le cataclysme de l’agriculture industrielle est dénoncé. La pollution des sols, la pollution des eaux, le démantèlement des écosystèmes ou encore la perte de la biodiversité animale et végétale sont quelques uns de ses effets dévastateurs. 

L’auteur met aussi les Etats face à leurs contradictions. Si de grands sommets mondiaux sont organisés comme les sommets de Rio, Stockholm ou encore Kyoto, ils ne sont qu’hypocrisie. Ils se contentent de poser quelques recommandations bien souvent non contraignantes pour les Etats. A l’époque où Pierre Rabhi écrit ce livre, la France ne consacrait que 0,28% de son budget national à l’environnement. Ce budget est aujourd’hui en hausse mais les mesures adoptées sont encore très timides. 

Au-delà de ces constats et de la critique des institutions, Pierre Rabhi interroge sur notre place au sein de ce système. Sommes nous réellement fait pour vivre de cette manière ? 

« Par ailleurs, l’idéologie prétendait qu’avec la science et la technique, les êtres humains allaient être libérés. Or l’observation des faits nous montre que l’itinéraire de vie d’un être humain dans la modernité est fait d’enfermements successifs : de la maternelle à l’université, il est enfermé – les jeunes appellent ça le « bahut » ; les femmes et les hommes en activité disent travailler dans des « boîtes », petites ou grandes ; les jeunes s’amusent en « boîte » et y vont dans leurs « caisses ». Ensuite vous avez la boîte où l’on stocke les vieux avant la dernière boîte que je vous laisse deviner. »

page 46

Vers un monde plus juste 

Pour l’auteur, il faut agir et ne pas rester passif. Il en va de notre responsabilité. Il nous invite à nous saisir de notre destin pour le mettre en conformité avec nos convictions et nos aspirations. 

« Car si l’être humain ne change pas quotidiennement pour atteindre générosité, compassion, éthique et équité, la société ne pourra changer durablement. On peut manger bio, recycler ses déchets et ses eaux usées, se chauffer à l’énergie solaire et exploiter son prochain. Cela n’est pas incompatible. Comme pour toutes nos innovations, la question est de savoir quelle conscience les détermine. » 

page 78

Il nous invite à un retour aux sources afin d’apprendre à nouveau la patience et la saveur des cycles. 

« Retrouver un peu du sentiment de ces êtres premiers pour qui la création, les créatures et la terre étaient avant tout sacrée … » 

page 5

Il s’agit de renouer avec notre véritable vocation qui est basée sur le respect de la vie. Pour illustrer son message, l’auteur nous explique son parcours et son mode de vie dans les Cévennes au sein d’une ferme écologique. 

« Il nous faudra bien répondre à notre véritable vocation qui n’est pas de produire et consommer jusqu’à la fin de nos vies mais d’aimer, d’admirer et de prendre soin de la vie sous toutes ses formes. » 

page 120

Dans un monde absurde où l’argent et le profit ont plus de valeur que la vie humaine et la préservation de notre planète, Pierre Rabhi nous incite donc à faire notre « part du colibri ». 

Cette exhortation est issue d’une légende amérindienne. Selon cette dernière, alors qu’un immense incendie ravageait une forêt, un petit colibri s’activait en allant chercher quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu, alors que les autres animaux observaient terrifiés et atterrés. Agacé, un tatou lui dit « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Tu crois que c’est avec des gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ? », « Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part ». 

On peut parfois se sentir désespéré et penser que ce que l’on fait ne change rien mais si nous faisons tous notre part alors les choses peuvent changer.

« Sachez que la Création ne nous appartient pas, mais que nous sommes ses enfants. » 

page 123 

« Soyez très éveillés lorsque le soleil illumine vos sentiers et lorsque la nuit vous rassemble, ayez confiance en elle, car si vous n’avez ni haine ni ennemi, elle vous conduira sans dommage, sur ses pirogues de silence, jusqu’aux rives de l’aurore. » 

page 126 

L’auteur

Pierre Rabhi, paysan et penseur français né le 29 mai 1938 en Algérie, défend un mode de société plus respectueux des hommes et de la Terre. 

Il fonda le mouvement des Colibris et est devenu une figure du mouvement politique et scientifique de l’agroécologie en France. 

Depuis 1981, il partage ses connaissances à travers l’Europe et l’Afrique afin de redonner leur autonomie alimentaire aux populations. Il a notamment participé à l’élaboration de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification.

Bien que son combat pour l’écologie soit admirable, il fait toutefois l’objet de nombreuses critiques concernant certaines de ses prises de positions sociétales. 

Essais

Why I’m no longer talking to white people about race, Reni Eddo-Lodge

Anger is useful. Use it for good. Support those in the struggle, rather than spending too much time pitying yourself. 1

Page 221

Informations générales

  • Année de parution : 2017 – 2018 
  • Genre : Essai anti-raciste 
  • Nombre de pages : 255

Comme je l’ai lu en VO, j’ai traduit librement les citations à la fin de l’article. Elles sont surement mieux formulées dans la version française « Le racisme est un problème de blancs ». 

Analyse

Le contexte

Aujourd’hui, la France, telle une princesse endormie, semble se réveiller brusquement et découvrir l’existence du racisme sur son territoire. 

Pendant longtemps, elle s’est drapée les yeux de son universalisme et pointait du doigt la folie des autres pour se dédouaner. 

Pourtant, le racisme est bien présent dans notre pays. S’il s’exprime de manière différente selon les régions du monde, on ne peut cependant nier son existence. 

Il est vrai qu’à l’école, on apprend très peu de choses sur le sujet ainsi que sur l’histoire du peuple noir. La première fois qu’on entend parler de l’Afrique en classe d’histoire, c’est pour parler de l’esclavage. Bien souvent, cette histoire est présentée très sommairement en insistant sur le fait que les Africains auraient vendus leurs compatriotes en échange de quelques coquillages. Ensuite, vient la leçon sur la Colonisation qui vante les éloges des « bienfaiteurs » européens qui ont construit des routes et des hôpitaux. 

Il est très difficile de déconstruire cette image du Blanc sauveur et du Non-Blanc sauvage qu’il faut civiliser.  Ce sont ces préjugés qui prédominent dans l’inconscient de nos sociétés. C’est pourquoi, la lecture est essentielle pour comprendre ce qu’est réellement le racisme. Ici, la lecture permet non pas de construire mais de déconstruire des préjugés. 

J’ai beau être antillaise et descendante d’esclave, j’ai longtemps imaginé l’Afrique noire comme une vaste terre de misère sans réelle histoire. C’est la lecture de certains ouvrages, comme Nations Nègres et Culture, qui m’a permis d’ouvrir les yeux et c’est l’une des principales raisons pour laquelle je me suis lancée dans l’aventure bookstagram et dans la création d’un blog littéraire. 

Beaucoup de livres permettent de comprendre la problématique du racisme, comme Mille Petits Riens, et aujourd’hui j’ai choisi de vous présenter l’ouvrage de Reni Eddo-Lodge qui aborde la problématique raciale au Royaume-Uni et qui présente des similitudes avec la situation française. 

Un titre qui fait réagir

Vous l’aurez remarqué, le titre du livre en VO est assez provocateur. Je vous avoue que c’est le titre en premier lieu qui m’a intriguée et poussée à découvrir l’oeuvre. Une certaine lassitude ressort de ce titre et inscrit ce livre comme une véritable thérapie pour ceux qui sont fatigués de parler avec des personnes qui refusent de voir le problème.

« I stop talking to white people about race because I don’t think giving up is a sign of weakness. Sometimes it’s about self-preservation. »2

Préface, page 15

Si le titre peut laisser penser à certains qu’ils ne sont plus invités à la discussion, cet essai propose en réalité un véritable dialogue rendu possible par l’abandon de certains préjugés. En effet, ce livre est LA discussion qu’il faut avoir sur le racisme.

La traduction française du titre est « Le racisme est un problème de blancs », ce qui est regrettable car on perd une partie de l’essence du message de l’auteur. C’est pour ce genre de traduction/réécriture que je préfère lire les versions originales quand je le peux.

Ce qu’elle met en lumière c’est le fait qu’il est difficile d’avoir ce genre de discussion avec des personnes blanches car elles peuvent se sentir attaquées, blessées ou mal à l’aise. Les personnes victimes de discrimination se retrouvent donc dans l’incapacité de dénoncer ce qui leur arrive au sein d’une société qui leur rappelle sans cesse qu’elles n’ont pas à se plaindre.

Un système à déconstruire

L’essai retrace l’histoire du Royaume-Uni sous l’angle de ses rapports avec les populations noires, ce qui permet de comprendre les liens complexes actuels. 

Il aborde aussi plusieurs points intéressants comme les relations des noirs avec la police du Royaume-Uni (spoiler alert : oui, il y a des violences policières) ou encore le rôle ambigu du féminisme lorsqu’il s’agit de prendre en compte les problématiques propres aux femmes noires. 

Mais c’est surtout une lecture essentielle pour comprendre le racisme structurel. L’auteur explique qu’il s’agit d’un système pensé uniquement pour les personnes blanches dans lequel les autres trouvent difficilement leur place. 

Ce n’est pas tant une question de préjugés personnels mais plutôt d’un ensemble de préjugés collectivement admis au sein d’une société. C’est ce racisme qui a un impact direct sur les chances de réussite et même de survie des personnes qui en sont victimes.

Cette définition s’applique également en France. Même si les statistiques ethniques ne sont pas officiellement reconnues, on peut aisément voir que les chances de réussite d’un jeune élève noir de banlieue parisienne sont bien moins élevées que celles d’un élève blanc d’un lycée parisien. Et même lorsque cet élève noir intègre une grande école, ses chances de trouver un emploi sont nettement diminuées par rapport à son camarade blanc. Le racisme c’est aussi et surtout une question de comprendre qui détient le pouvoir et qui souhaite le garder. 

« We tell ourselves that racism is about moral values, when instead it is about the survival strategy of systemic power »3

page 64

Reni Eddo-Lodge met ainsi toute une société face à ses contradictions. Pour revenir à la question des statistiques ethniques et des quotas, que l’on se pose actuellement en France, elle s’interroge sur le fait que les quotas soient si facilement acceptés quand il s’agit de dénoncer l’inégalité homme/femme alors qu’ils sont fortement critiqués concernant la lutte contre le racisme. Elle aborde également la thématique du privilège blanc qui fait également beaucoup parler aujourd’hui. 

« White privilege is one of the reasons why I stopped talking to white people about race. Trying to convince stony faces of disbelief has never appealed to me. The idea of white privilege forces white people who aren’t actively racist to confront their own complicity in its continuing existence »4

page 87

Je vous renvoie au livre pour comprendre ce qu’est vraiment le privilège blanc si vous ne savez pas de quoi il s’agit car l’auteur l’explique à merveille. Il ne s’agit pas tant d’avoir une vie aisée à l’abri de toute difficulté. Il s’agit de vivre dans un monde qui est pensé et fait uniquement pour vous. Un monde où vous n’avez pas peur de subir un contrôle au faciès qui peut entraîner des violences policières. Un monde où vous n’avez pas à vous soucier de vous voir refuser un logement ou un emploi en raison de votre nom ou de votre apparence. 

« Who really wants to be alerted to a structural system that benefits them at the expense of others? »5

Préface, page 11 

L’auteure bouscule ceux et celles qui ferment les yeux sur ce système au motif qu’ils ou elles « ne voient pas la couleur des gens ». 

« Not seeing race does little to deconstruct racist structures or materially improve the conditions which people of color are subject to daily. In order to dismantle unjust, racist structures, we must see race. »6  

page 84

Enfin, après avoir dénoncer tout cela, elle incite le lecteur à déconstruire le système actuel afin de créer un monde dans lequel chacun aurait sa place. 

« I don’t want to be included. Instead, I want to question who created the standard in the first place. After a lifetime of embodying difference, I have no desire to be equal. I want to deconstruct the structural power of a system that marked me out as different »7

page 184 

L’auteur


Photo du FESTIVAL METROPOLIS BLEU

Née en 1989 à Londres d’une mère nigériane, Reni Eddo-Lodge est une journaliste et auteure britannique qui écrit sur le féminisme et sur le racisme structurel. Elle écrit notamment pour le New York Times, The Guardian ou encore The Daily Telegraph.

A l’âge de quatre ans, elle demanda à sa mère quand est-ce qu’elle allait devenir blanche, ce qui lui fit réaliser qu’il y avait un problème de représentation dans la société. Avant d’être un livre, Why I’m No Longer Talking to White People About Race était un article qu’elle a publié sur son blog en 2014 et qui est devenu viral. 

Traduction libre

  1. La colère est utile. Utilisez-la pour le bien. Soutenez ceux qui luttent, plutôt que de passer trop de temps à vous apitoyer sur votre sort.
  2. J’ai arrêté de discuter de race avec les Blancs car je ne considère pas l’abandon comme un signe de faiblesse. Parfois, il s’agit de se préserver.
  3. Nous nous disons que le racisme est une question de valeurs morales, alors qu’il s’agit plutôt de la stratégie de survie du pouvoir systémique.
  4. Le privilège blanc est l’une des raisons pour lesquelles j’ai cessé de parler de race avec les Blancs. Essayer de convaincre des visages fermés et incrédules ne m’a jamais plu. L’idée du privilège blanc oblige les Blancs qui ne sont pas activement racistes à affronter leur propre complicité dans l’existence continue du racisme.
  5. Qui voudrait vraiment être averti d’un système structurel qui lui profite au détriment des autres ?
  6. Ne pas voir la race ne contribue guère à déconstruire les structures racistes ou à améliorer matériellement les conditions auxquelles les personnes de couleur sont soumises quotidiennement. Afin de démanteler les structures racistes et injustes, nous devons voir la race.
  7. Je ne veux pas être inclus. Je veux plutôt me demander qui a créé la norme en premier lieu. Après une vie passée à incarner la différence, je n’ai aucun désir d’être égale. Je veux déconstruire le pouvoir structurel d’un système qui m’a marqué comme étant différente.