Littérature caribéenne

Histoire de la femme cannibale, Maryse Condé

Les femmes noires c’est un monde opaque, impénétrable, l’inconnu, le mystère. L’envers de la lune.

page 32

Informations générales

  • Année de parution : 2005
  • Genre : Roman
  • Nombre de pages : 352

Résumé

Rosélie est une guadeloupéenne exilée en Afrique du Sud qui tente de se reconstruire après le meurtre de son mari, Stephen. Incomprise, déracinée et abandonnée par les hommes qu’elle a aimés, elle va pourtant devoir apprendre à s’accepter et à s’affirmer. 

Le roman suit le fil des souvenirs de cette femme aux émotions complexes. Si elle a parcouru le monde, Rosélie reste une femme en exil vivant dans l’ombre de ceux qui ont partagé sa vie. Son histoire avec Stephen, faite de voyages, de dîners mondains et autres festivités avait tout l’air d’un conte de fée mais la réalité est tout autre.  

L’histoire de Rosélie se croise avec celles d’autres femmes toutes abandonnées par des hommes. On y suit, entre autre, le destin tragique de la mère de Rosélie ainsi que celle d’une femme accusée d’avoir tué son mari et surnommée la femme cannibale. Loin des personnages tout lisses, les femmes de ce récit sont complexes et profondes. Si le récit est sombre, il n’en est pas moins plein d’espoir.

Avis et analyse 

Une femme complexe

Ce récit, comme la plupart des ouvrages de Maryse Condé, est extrêmement riche. Les souvenirs de Rosélie s’entremêlent à la narration et le destin de plusieurs femmes s’entrecroisent, entraînant le lecteur dans un véritable tourbillon d’émotions. 

« Les romanciers ont peur d’inventer l’invraisemblable, c’est-à-dire le réel. » 

page 27

L’héroïne est une femme complexe, difficile à comprendre même pour le lecteur qui lit ce roman à travers ses pensées les plus profondes. Est-ce une femme égoïste qui a tourné le dos à sa famille pour suivre des hommes à travers le monde ? Une femme n’ayant aucune reconnaissance pour un mari qui a tout fait pour l’aider à percer en tant qu’artiste-peintre ? Une femme n’ayant aucun sens de la morale  ? Une tueuse ou une veuve éplorée ? Une sorcière ou une guérisseuse ?  Une femme faible ou une femme forte ? 

« Certains êtres ne sont pas bénis par la bonne chance. A leur naissance, des comètes furieuses zigzaguaient à travers le ciel, s’y cognaient, s’y bousculaient, s’y chevauchaient. Conséquence, ce désordre cosmique a influencé leur destinée et, dans leur vie, tout va de travers. » 

page 17

Ce sont toutes ces questions que le lecteur est amené à se poser au fil des pages. On comprend vite que Rosélie est en réalité complètement perdue. Elle a coupé les liens avec sa mère comme elle a coupé les liens avec son île. 

« Elle aussi disait « rentrer ». Rentrer dans son l’île comme dans le ventre de sa mère. Le malheur est qu’une fois expulsé on ne peut plus y entrer. Retourner s’y blottir. Personne n’a jamais vu un nouveau-né qui se refait foetus. Le cordon ombilical est coupé. Le placenta est enterré. On doit marcher crochu marcher quand même jusqu’au bout de l’existence. » 

page 273

Elle ne sait pas qui elle est et s’accroche aux hommes qu’elle rencontre pour vivre à travers eux. 

« Chez moi ? Si seulement je savais où c’est. Oui, le hasard m’a fait naître à la Guadeloupe. Mais, dans ma famille, personne ne veut de moi. A part cela, j’ai vécu en France. Un homme m’a emmenée puis larguée en Afrique. De là, un autre homme m’a emmenée aux Etats-Unis, puis ramenée en Afrique pour m’y larguer à présent, lui aussi, au Cap. Ah, j’oubliais, j’ai aussi vécu au Japon. Cela fait une belle charade, pas vrai ? Non, mon seul pays c’est Stephen. Là où il est, je reste. » 

page 43

Elle pensait trouver du réconfort auprès de Stephen et s’est raccrochée à lui, quitte à vivre dans son ombre. 

« Après les dérives en eaux troubles, les plongeons, les semi-noyades terrifiées de ses journées, la nuit, il lui plaisait de retrouver à la même place le ponton ferme et réconfortant du corps de Stephen. » 

page 122

Ce manque de confiance en elle ne s’exprime pas uniquement au sein de ses relations amoureuses. Incomprise par sa propre famille, elle l’est aussi des autres noirs et c’est là toute la complexité du roman. Ainsi, lorsque Rosélie pense aux afro-américaines c’est pour à nouveau se sentir diminuée, insuffisante, inexistante.

« Elle gratifiait cette inconnue des traits des Africaines-Américaines qu’elle avait côtoyées, frissonnant à leur souvenir et s’apercevant qu’elles l’avaient mieux que quiconque convaincue de ses manques en la mesurant subtilement à une aune pour elle impossible à atteindre : celle des matrones, poto-mitan, des civilisations de la diaspora. Qu’avait-elle accompli, elle, dont puisse se glorifier la Race ? » 

pages 144-145

Vous pouvez retrouver une définition de la femme photo-mitan dans mon article sur La rue Cases-Nègres de Joseph Zobel.

Si Rosélie est une femme difficile à cerner, elle n’en est pas moins tout à fait consciente du racisme qu’elle subit. 

Une histoire d’amour ou de racisme ? 

Rosélie a du mal à faire le deuil de Stephen car elle s’accrochait à lui dans un monde qui lui est hostile. En effet, qu’importe le pays dans lequel elle vit, elle est toujours confrontée au racisme. C’est bien la seule chose sur laquelle elle n’a aucun doute. Même si Stephen a sans cesse minimisé les atteintes qu’elle a subit, elle n’a jamais été dupe à ce sujet. 

« Venons en au racisme. Je pourrais écrire des tomes là-dessus. Si le racisme est plus mortel que le sida, il est aussi plus répandu, plus quotidien que les grippes en hiver. » 

pages 43-44

Stephen étant un homme blanc, elle est également confrontée aux difficultés relatives aux couples mixtes. 

« Non, en vérité, aucune société n’est prête à accepter la liberté de l’amour. » 

page 75

D’abord, le couple mixte n’est pas toujours bien vu par certaines personnes noires qui y voient une  véritable trahison. 

« Désormais, Alice et Andy considérèrent Rosélie avec un sombre apitoiement et ne lui adressèrent plus la parole. Il ne fallait pas plaindre une soeur qui restait avec ce Caucasien de l’espèce la plus dangereuse. Masochisme ? Non ! Elle était l’illustration du complexe de lactification à la Mayotte Capécia, si magnifiquement dénoncé par Fanon, encore lui ! « Elle ne réclame rien, n’exige rien sinon un peu de blancheur dans sa vie. » » 

page 221 

Cette réaction d’Andy et Alice fait suite à des propos très limites tenus par Stephen mais on y décèle clairement l’amertume face à une femme accusée de rejeter les siens uniquement pour mettre de la blancheur dans sa vie. Beaucoup de personnes qui sont dans un couple mixte ont déjà entendu des remarques plus ou moins semblables. 

Ensuite, le couple mixte scandalise certaines personnes blanches comme la mère de Stephen qui considère que les métis sont « l’abomination des abominations » (page 59). Mais, et c’est surtout ce que pointe Maryse Condé dans cet ouvrage, il y aussi certaines personnes blanches qui sont de véritables fétichistes des personnes noires ou qui se mettent en couple dans l’unique but de provoquer. 

Une scène du livre met en lumière cela et le tourne magnifiquement à l’absurde. Il s’agit d’un dîner mondain dans lequel sont invités Rosélie et Stephen. 

« Toutefois, ce qui frappa Rosélie […] ce fut que le dîner réunit uniquement des couples mixtes, hommes blancs, femmes noires, comme s’ils constituaient une humanité singulière qu’il ne fallait sous aucun prétexte confondre avec l’autre. » 

page 73

Sous l’apparence d’une ode à l’amour et au métissage qui serait le symbole d’un monde dans lequel la tolérance règnerait, il y a en réalité ici un fond de racisme associé à un soupçon de fétichisme. 

« Tous se regardaient avec gêne. N’était-ce pas précisément contre ces clichés qu’ils luttaient ? L’amour d’un Blanc pour une Noire n’est pas simple quête d’exotisme ou désir exacerbé de jouissance ! Ah ! Remplacer les mots d’érection, blow-job, orgasme, par ceux de tendresse, de communication et de respect ! » 

page 79 

Encore une fois, le récit va plus loin, car le personnage de Stephen est bien plus complexe que cela. Il aime briller et être au centre de l’attention. Avoir une femme noire est pour lui l’occasion de choquer et de se différencier de ses semblables. Rosélie en est consciente et voit clairement le plaisir qu’il éprouve à chaque fois qu’il la présente à des inconnus. 

« Chaque fois, c’était la même chose ! Elle l’accusait de jouer au prestidigitateur tirant de son chapeau un objet funeste et surprenant. Avec ses collègues, ses connaissances, les commerçants du quartier, marchands de journaux, de cigarettes, de fleurs. Contrainte et forcée, elle marmonnait un salut. » 

page 135

Aux souvenirs qu’elle a de Stephen, s’ajoutent les éléments de l’enquête sur sa mort qui vont lui faire prendre conscience que sa vie n’était absolument pas comme elle se l’imaginait. 

« C’est archi-connu : chacun de nous tue ce qu’il aime. 

The coward does it with a kiss

The brave does it with a sword. »  

pages 297-298

En réalité, les révélations auxquelles elle va être confrontées n’en sont pas entièrement mais elle avait choisi de vivre dans l’ignorance de la vérité. 

« Simplement, elle avait choisi d’ignorer l’évidence. Heureux ceux qui ont des yeux pour ne rien voir. Sa zyé pa ka vwé, kyè pa ka fè mal, dit le proverbe guadeloupéen. Elle avait refusé de payer le prix terrible de sa lucidité. » 

pages 309-310

Une ode à l’émancipation 

Rosélie prend conscience progressivement qu’elle a vécu dans l’ombre de son mari pendant de nombreuses années. 

« En fin de compte, Stephen avait-il été vraiment son bienfaiteur ? Partager ses jours, vivre dans son ombrage lui avait peut-être causé un dommage considérable, lui interdisant de devenir adulte. » 

page 149 

Sa peur de l’abandon l’a empêchée d’être elle-même. La thématique de l’abandon a une place centrale dans le récit et concerne plusieurs personnages féminins du roman. 

« J’ai l’impression d’avoir passé mille ans. Je suis un arbre dont les cyclones ont rompu toutes les branches, dont les grands vents ont charroyé toutes les feuilles. Je suis nue, je suis dépouillée. » 

pages 165-166

La puissance du récit réside dans le parallèle qui est fait entre l’histoire de l’héroïne et un fait divers relatant celle d’une femme accusée d’avoir tué son mari. Rosélie va en effet véritablement se reconnaitre en cette femme, ce qui ajoute à la profondeur de l’histoire. 

« Fiéla, tu t’es installée dans mes pensées, mes rêves. Pas gênante pour un sou. Discrète, comme un autre moi-même. Tu te caches derrières mes actions, invisible, pareille à la doublure de soie d’un vêtement. Tu as dû être comme moi, une enfant solitaire, une adolescente taciturne. Ta tante qui t’a recueillie te disait une ingrate. Tu n’avais pas d’amies. Tu ne retenais pas l’attention. Les garçons passaient sur toi sans te regarder, sans s’occuper de ce que tu brûlais d’envie de leur offrir. » 

page 106

Toute cette complexité s’exprime dans les peintures de Rosélie, qui sont à la fois sombres et passionnées. 

« Les seules créations valables sont celles de l’imaginaire. » 

page 63

Finalement, c’est à travers la peinture qu’elle réussit à s’exprimer véritablement et que le lecteur peut comprendre la multitude d’émotions qui l’anime.

« L’art est le seul langage qui se partage à la surface de la Terre sans distinction de nationalité ni de race, ces deux fléaux qui interdisent la communication entre les hommes. » 

page 196

Au final, l’héroïne devra apprendre à avancer et à devenir elle-même qu’importe le poids de son passé.

« Que faire du passé ? Quel cadavre encombrant ! Devons nous l’embaumer et, ainsi idéalisé, l’autoriser à gérer notre destin ? Devons-nous l’enterrer, à la sauvette, comme un malpropre et l’oublier radicalement ? Devons nous le métamorphoser ? » 

page 142 

Ce roman est une ode à la différence, à la bizarrerie et aux dérives de l’esprit mais surtout une ode à l’acceptation de soi et à l’émancipation des femmes. 

L’auteur

Photo tirée du site Internet de RCI, Maryse Condé, lauréate du Nobel alternatif de Littérature

J’ai eu la chance de découvrir les ouvrages de Maryse Condé dès l’école primaire. J’ai toujours été surprise du manque de visibilité de son oeuvre en France alors même que sa renommée est mondiale.  Née en 1937 à Pointe-à-Pitre, ses romans sont célébrés dans le monde entier. Angela Davis a même écrit la préface d’un de ses livres, Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem

Elle est la fondatrice du Centre des études françaises et francophones de l’Université Columbia aux Etats-Unis et reçu le prix spécial de la Francophonie 2013 « pour sa contribution au rayonnement de la Francophonie à travers l’ensemble de ses œuvre ». Parmi les nombreux prix qu’elle a reçu, il y a le prix de la Nouvelle Académie de littérature (The New Academy Prize in Literature), qualifié de « prix Nobel alternatif » par la presse en 2018 . 

Essais

Why I’m no longer talking to white people about race, Reni Eddo-Lodge

Anger is useful. Use it for good. Support those in the struggle, rather than spending too much time pitying yourself. 1

Page 221

Informations générales

  • Année de parution : 2017 – 2018 
  • Genre : Essai anti-raciste 
  • Nombre de pages : 255

Comme je l’ai lu en VO, j’ai traduit librement les citations à la fin de l’article. Elles sont surement mieux formulées dans la version française « Le racisme est un problème de blancs ». 

Analyse

Le contexte

Aujourd’hui, la France, telle une princesse endormie, semble se réveiller brusquement et découvrir l’existence du racisme sur son territoire. 

Pendant longtemps, elle s’est drapée les yeux de son universalisme et pointait du doigt la folie des autres pour se dédouaner. 

Pourtant, le racisme est bien présent dans notre pays. S’il s’exprime de manière différente selon les régions du monde, on ne peut cependant nier son existence. 

Il est vrai qu’à l’école, on apprend très peu de choses sur le sujet ainsi que sur l’histoire du peuple noir. La première fois qu’on entend parler de l’Afrique en classe d’histoire, c’est pour parler de l’esclavage. Bien souvent, cette histoire est présentée très sommairement en insistant sur le fait que les Africains auraient vendus leurs compatriotes en échange de quelques coquillages. Ensuite, vient la leçon sur la Colonisation qui vante les éloges des « bienfaiteurs » européens qui ont construit des routes et des hôpitaux. 

Il est très difficile de déconstruire cette image du Blanc sauveur et du Non-Blanc sauvage qu’il faut civiliser.  Ce sont ces préjugés qui prédominent dans l’inconscient de nos sociétés. C’est pourquoi, la lecture est essentielle pour comprendre ce qu’est réellement le racisme. Ici, la lecture permet non pas de construire mais de déconstruire des préjugés. 

J’ai beau être antillaise et descendante d’esclave, j’ai longtemps imaginé l’Afrique noire comme une vaste terre de misère sans réelle histoire. C’est la lecture de certains ouvrages, comme Nations Nègres et Culture, qui m’a permis d’ouvrir les yeux et c’est l’une des principales raisons pour laquelle je me suis lancée dans l’aventure bookstagram et dans la création d’un blog littéraire. 

Beaucoup de livres permettent de comprendre la problématique du racisme, comme Mille Petits Riens, et aujourd’hui j’ai choisi de vous présenter l’ouvrage de Reni Eddo-Lodge qui aborde la problématique raciale au Royaume-Uni et qui présente des similitudes avec la situation française. 

Un titre qui fait réagir

Vous l’aurez remarqué, le titre du livre en VO est assez provocateur. Je vous avoue que c’est le titre en premier lieu qui m’a intriguée et poussée à découvrir l’oeuvre. Une certaine lassitude ressort de ce titre et inscrit ce livre comme une véritable thérapie pour ceux qui sont fatigués de parler avec des personnes qui refusent de voir le problème.

« I stop talking to white people about race because I don’t think giving up is a sign of weakness. Sometimes it’s about self-preservation. »2

Préface, page 15

Si le titre peut laisser penser à certains qu’ils ne sont plus invités à la discussion, cet essai propose en réalité un véritable dialogue rendu possible par l’abandon de certains préjugés. En effet, ce livre est LA discussion qu’il faut avoir sur le racisme.

La traduction française du titre est « Le racisme est un problème de blancs », ce qui est regrettable car on perd une partie de l’essence du message de l’auteur. C’est pour ce genre de traduction/réécriture que je préfère lire les versions originales quand je le peux.

Ce qu’elle met en lumière c’est le fait qu’il est difficile d’avoir ce genre de discussion avec des personnes blanches car elles peuvent se sentir attaquées, blessées ou mal à l’aise. Les personnes victimes de discrimination se retrouvent donc dans l’incapacité de dénoncer ce qui leur arrive au sein d’une société qui leur rappelle sans cesse qu’elles n’ont pas à se plaindre.

Un système à déconstruire

L’essai retrace l’histoire du Royaume-Uni sous l’angle de ses rapports avec les populations noires, ce qui permet de comprendre les liens complexes actuels. 

Il aborde aussi plusieurs points intéressants comme les relations des noirs avec la police du Royaume-Uni (spoiler alert : oui, il y a des violences policières) ou encore le rôle ambigu du féminisme lorsqu’il s’agit de prendre en compte les problématiques propres aux femmes noires. 

Mais c’est surtout une lecture essentielle pour comprendre le racisme structurel. L’auteur explique qu’il s’agit d’un système pensé uniquement pour les personnes blanches dans lequel les autres trouvent difficilement leur place. 

Ce n’est pas tant une question de préjugés personnels mais plutôt d’un ensemble de préjugés collectivement admis au sein d’une société. C’est ce racisme qui a un impact direct sur les chances de réussite et même de survie des personnes qui en sont victimes.

Cette définition s’applique également en France. Même si les statistiques ethniques ne sont pas officiellement reconnues, on peut aisément voir que les chances de réussite d’un jeune élève noir de banlieue parisienne sont bien moins élevées que celles d’un élève blanc d’un lycée parisien. Et même lorsque cet élève noir intègre une grande école, ses chances de trouver un emploi sont nettement diminuées par rapport à son camarade blanc. Le racisme c’est aussi et surtout une question de comprendre qui détient le pouvoir et qui souhaite le garder. 

« We tell ourselves that racism is about moral values, when instead it is about the survival strategy of systemic power »3

page 64

Reni Eddo-Lodge met ainsi toute une société face à ses contradictions. Pour revenir à la question des statistiques ethniques et des quotas, que l’on se pose actuellement en France, elle s’interroge sur le fait que les quotas soient si facilement acceptés quand il s’agit de dénoncer l’inégalité homme/femme alors qu’ils sont fortement critiqués concernant la lutte contre le racisme. Elle aborde également la thématique du privilège blanc qui fait également beaucoup parler aujourd’hui. 

« White privilege is one of the reasons why I stopped talking to white people about race. Trying to convince stony faces of disbelief has never appealed to me. The idea of white privilege forces white people who aren’t actively racist to confront their own complicity in its continuing existence »4

page 87

Je vous renvoie au livre pour comprendre ce qu’est vraiment le privilège blanc si vous ne savez pas de quoi il s’agit car l’auteur l’explique à merveille. Il ne s’agit pas tant d’avoir une vie aisée à l’abri de toute difficulté. Il s’agit de vivre dans un monde qui est pensé et fait uniquement pour vous. Un monde où vous n’avez pas peur de subir un contrôle au faciès qui peut entraîner des violences policières. Un monde où vous n’avez pas à vous soucier de vous voir refuser un logement ou un emploi en raison de votre nom ou de votre apparence. 

« Who really wants to be alerted to a structural system that benefits them at the expense of others? »5

Préface, page 11 

L’auteure bouscule ceux et celles qui ferment les yeux sur ce système au motif qu’ils ou elles « ne voient pas la couleur des gens ». 

« Not seeing race does little to deconstruct racist structures or materially improve the conditions which people of color are subject to daily. In order to dismantle unjust, racist structures, we must see race. »6  

page 84

Enfin, après avoir dénoncer tout cela, elle incite le lecteur à déconstruire le système actuel afin de créer un monde dans lequel chacun aurait sa place. 

« I don’t want to be included. Instead, I want to question who created the standard in the first place. After a lifetime of embodying difference, I have no desire to be equal. I want to deconstruct the structural power of a system that marked me out as different »7

page 184 

L’auteur


Photo du FESTIVAL METROPOLIS BLEU

Née en 1989 à Londres d’une mère nigériane, Reni Eddo-Lodge est une journaliste et auteure britannique qui écrit sur le féminisme et sur le racisme structurel. Elle écrit notamment pour le New York Times, The Guardian ou encore The Daily Telegraph.

A l’âge de quatre ans, elle demanda à sa mère quand est-ce qu’elle allait devenir blanche, ce qui lui fit réaliser qu’il y avait un problème de représentation dans la société. Avant d’être un livre, Why I’m No Longer Talking to White People About Race était un article qu’elle a publié sur son blog en 2014 et qui est devenu viral. 

Traduction libre

  1. La colère est utile. Utilisez-la pour le bien. Soutenez ceux qui luttent, plutôt que de passer trop de temps à vous apitoyer sur votre sort.
  2. J’ai arrêté de discuter de race avec les Blancs car je ne considère pas l’abandon comme un signe de faiblesse. Parfois, il s’agit de se préserver.
  3. Nous nous disons que le racisme est une question de valeurs morales, alors qu’il s’agit plutôt de la stratégie de survie du pouvoir systémique.
  4. Le privilège blanc est l’une des raisons pour lesquelles j’ai cessé de parler de race avec les Blancs. Essayer de convaincre des visages fermés et incrédules ne m’a jamais plu. L’idée du privilège blanc oblige les Blancs qui ne sont pas activement racistes à affronter leur propre complicité dans l’existence continue du racisme.
  5. Qui voudrait vraiment être averti d’un système structurel qui lui profite au détriment des autres ?
  6. Ne pas voir la race ne contribue guère à déconstruire les structures racistes ou à améliorer matériellement les conditions auxquelles les personnes de couleur sont soumises quotidiennement. Afin de démanteler les structures racistes et injustes, nous devons voir la race.
  7. Je ne veux pas être inclus. Je veux plutôt me demander qui a créé la norme en premier lieu. Après une vie passée à incarner la différence, je n’ai aucun désir d’être égale. Je veux déconstruire le pouvoir structurel d’un système qui m’a marqué comme étant différente.