Littérature africaine

Le ventre de l’Atlantique, Fatou Diome

Chaque miette de vie doit servir à conquérir la dignité ! 

page 119 et autres

Informations générales

  • Année de parution : 2003
  • Genre : Roman
  • Editeur : Le livre de Poche
  • Nombre de pages : 255

Résumé

Salie, écrivaine sénégalaise, est tiraillée entre sa vie à Strasbourg et la nostalgie de son pays. Son frère, Madické, rêve de devenir une star du football en Europe. Son objectif est de quitter le Sénégal pour venir tenter sa chance en France tout comme sa soeur. Cette dernière, consciente des difficultés, tente de le dissuader. A l’histoire de ces deux protagonistes, s’ajoutent celles de nombreux autres sénégalais qui tous rêvent d’un avenir meilleur. 

Avis et analyse 

L’european dream

Qu’est-ce qui pousse les gens à quitter leur terre natale, leur famille, leurs amis ? Pourquoi abandonner tout cela et partir loin des siens et de ses repères si ce n’est la quête d’une vie meilleure. Il y a une phrase qui dit que « partir c’est mourir un peu ». Tout départ s’accompagne d’une perte mais il est aussi synonyme de renouveau et d’espoirs. C’est justement cet espoir qui explique le désir de partir des personnages de ce roman. 

« Partir, c’est avoir tous les courage pour aller accoucher de soi-même, naître de soi étant la plus légitime des naissances. » 

pages 226-227 

Le véritable personnage principal du roman est en réalité l’exil ou la quête de l’exil. Salie a quitté le Sénégal pour Strasbourg et apparaît donc comme un modèle de réussite pour les siens. Beaucoup fantasment sur sa vie bien que sa réalité soit totalement différente. Impossible pour eux de comprendre ses plaintes, elle qui a réussi à accomplir ce que tous recherchent. 

« Partout, on marche, mais jamais vers le même horizon. En Afrique, je suivais le sillage du destin, fait de hasard et d’un espoir infini. En Europe, je marche dans le long tunnel de la performance qui conduit à des objectifs bien définis » 

pages 13-14

Ce rêve de départ est symbolisée dans le roman par les joueurs de football africains qui évoluent dans les équipes européennes. Le frère de Salie, rêve lui aussi de percer dans ce milieu. Le foot apparaît comme la porte de sortie pour échapper à un quotidien de misère et atteindre le Saint-Graal, à savoir l’Europe. 

Salie essaie de faire comprendre à son frère et à d’autres que la vie n’est pas si simple en Europe. L’histoire d’autres protagonistes témoigne aussi du danger de ces illusions. 

« La liberté totale, l’autonomie absolue qui nous réclamons, lorsqu’elle a fini de flatter notre égo, de nous prouver notre capacité à nous assumer, révèle enfin une souffrance aussi pesante que toutes les dépendances évitées : la solitude. » 

page 190 

La réalité est que l’exil nous arrache une partie de nous même et donne le sentiment de ne plus appartenir nulle part. 

« Je vais chez moi comme on va à l’étranger, car je suis devenue l’autre pour ceux que je continue à appeler les miens. » 

page 166

Etrangère dans son pays d’accueil, comme sur sa terre natale, Salie doit aussi supporter la pression familiale. 

L’obligation de la réussite

Ceux qui partent en Europe et qui reviennent se doivent d’en mettre plein la vue et d’exposer leur réussite sinon c’est la déchéance aux yeux de leurs proches. Partir c’est forcément réussir. Il n’y a pas de place pour l’échec et la pression qui pèse sur les exilés est énorme. Plusieurs personnages du roman incarnent cela. 

Salie ne peut échapper aux exigences familiales. Elle doit, par exemple, soutenir les projets de son frère supporter le poids financier de toute la famille car, pour ses proches, sa réussite est une évidence. 

« Le sang oublie souvent son devoir, mais jamais son droit. » 

page 44

Beaucoup de personnes exilées connaissent bien cela. Il faut arroser les proches à coups de Western Union ou de cadeaux pour maintenir l’illusion. Cette pratique est qualifiée par certain de black tax1, un terme originaire d’Afrique du Sud, repris par de nombreux africains exilés. 

Ce livre est donc une parfaite illustration de l’illusion du rêve européen. Il invite à trouver des solutions d’épanouissement et de développement sur sa terre natale. Partir n’est pas forcément une solution. Le déracinement, la solitude, les échecs et le racisme se dressent sur le chemin de l’exil. 

«  Il y a des musiques, des chants, des plats, qui vous rappellent soudain votre condition d’exilé, soit parce qu’ils sont trop proches de vos origines, soit parce qu’ils en sont trop éloignés. Dans ces moments-là, désireuse de rester zen, je deviens favorable à la mondialisation, parce qu’elle distille des choses sans identité, sans âme, des choses trop édulcorées pour susciter une quelconque émotion en nous. » 

page 36

Au fond, ce livre invite surtout à ne pas oublier qui l’on est et d’où l’on vient et à ne pas se laisser aveugler par des rêves illusoires. 

« On peut remplacer nos pagnes par des pantalons, trafiquer nos dialectes, voler nos masques, défriser nos cheveux ou décolorer notre peau, mais aucun savoir-faire technique ou chimique ne saura jamais extirper de notre âme la veine rythmique qui bondit dès la première résonance du djembé. » 

page 195

Pour conclure, je dirais que c’est un livre qui peut aussi faire écho à la situation vécue par de nombreux ultramarins (antillais, guyanais, réunionais etc.) qui quittent leur terre pour étudier ou travailler en France métropolitaine. Certes, la situation est différente car ces territoires restent des territoires français (à priori) mais le sentiment de solitude et de déracinement décrit dans le livre m’ont beaucoup parlé. Rester ou Partir ? Vivre ailleurs ou revenir ? Beaucoup de ces questions se bousculent dans la tête des enfants de l’exil. 

  1. https://www.liberation.fr/planete/2019/12/05/afrique-du-sud-black-tax-le-poids-de-la-solidarite-familiale_1767548/
Littérature africaine

La porte du voyage sans retour, David Diop

Car il me semble juste de penser désormais que seule la fiction, le roman d’une vie, peut donner un véritable aperçu de sa réalité profonde, de sa complexité, éclairant ses opacités, en grande partie indiscernables par la personne même qui l’a vécue.

page 158

Informations générales

  • Année de parution : 2021
  • Genre : Roman
  • Editeur : Seuil
  • Nombre de pages : 253

Résumé

Au crépuscule de sa vie, Michel Andanson, un botaniste acharné de travail, décide de rédiger ses mémoires pour les léguer à sa fille qu’il a si souvent délaissée en raison de sa passion de chercheur. Lorsque Aglaé découvrira les mémoires de son père, elle va comprendre la profonde blessure qui l’a poussé à se plonger corps et âme dans son travail. 

En effet, lorsqu’il alla au Sénégal en 1750 pour y étudier la flore, Michel Andanson, alors jeune botaniste, découvrit une légende qui bouleversa sa vie : l’histoire de Maram Seck, une jeune fille ayant été enlevée afin d’être réduite en esclavage qui aurait réussit à s’enfuir et à retourner au Sénégal. 

Michel Andanson décida de se lancer dans une véritable quête pour retrouver cette jeune femme. Cependant, il ne sera pas au bout de ses surprises et découvrira que l’histoire qu’on lui a racontée est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait. 

Mêlant drame, passion et vengeance, l’auteur nous entraine au coeur du Sénégal à l’époque de la traite des esclaves dans un voyage initiatique. 

Avis et analyse 

Le livre aborde la question de l’esclavage sous un angle intéressant car l’action se déroule directement sur le lieu où les esclaves étaient enlevés. C’est donc à travers une quête philosophique que les horreurs de l’esclavages sont mises en lumières.

Un récit des horreurs de l’esclavage

La réalité de l’esclavage n’est pas racontée directement par ceux qui le pratiquent ou par ceux qui le subissent mais par une sorte de personnage intermédiaire qui n’est ni une victime, ni tout a fait un bourreau. On peut donc considérer que les faits sont présentés de manière plutôt neutre. 

A travers l’expérience de Michel Andanson, on va appréhender la dureté des gouverneurs et leurs  nombreux abus mais aussi le climat de terreur qui régnait au sein des différents villages. 

« L’état de guerre perpétuelle qui régnait à cette époque dans ce royaume entrainait la famine sur des terres où des céréales nourrissantes comme le mil ou le sorgho viennent très facilement. » 

page 78

On a donc un récit des conséquences du système esclavagiste sur les terres africaines directement. Les habitants doivent survivre aux conditions de vie difficiles engendrées par les guerres mais aussi échapper aux rapts pour ne pas être réduits en esclavage. 

On sent très bien ce climat pesant tout au long du récit et Michel Andanson va progressivement prendre conscience des dangers qu’il fait courir à ses accompagnateurs sénégalais. 

La complexité des rapports et du rôle de chacun est assez bien retranscrite puisqu’il n’y a pas uniquement les méchants esclavagistes contre les gentils sénégalais. Le récit met ainsi en lumière les tractations politiques entre plusieurs rois qui tentèrent de protéger comme ils le pouvaient certains de leurs sujets. Ainsi, certains villages pouvaient vivre dans une relative sécurité s’ils étaient placés sous la bonne protection mais ce n’était pas le cas de tous.

La figure de Maram est intéressante car elle est à la fois victime de la tyrannie des français qui ont voulu la réduire en esclavage mais aussi de la folie des siens. Ce n’est peut-être pas un hasard si son Djinn (son dieu protecteur) prend la forme d’un serpent. Le serpent apparaît comme la figure opposée à la religion chrétienne, tout comme Maram est l’opposée du système de domination raciale et patriarcale qu’on veut lui imposer. 

Ainsi, avec Maram, on peut se rappeler que la résistance à l’esclavage, sous différentes formes, a toujours existé. 

Une quête philosophique sur les terres sénégalaises

David Diop tisse son histoire en imaginant l’épopée de Michel Andanson (un botaniste ayant réellement existé 1727-1806) au coeur des terres sénégalaises. Arrivé au Sénégal dans l’espoir d’étudier les plantes, Michael Andanson va être confronté aux contradictions de son peuple. 

« Le genre humain dans son ensemble me paraissait désormais haïssable et je me haïssais moi-même. » 

page 218 

Lui qui se destinait à servir la religion, va prendre conscience de l’hypocrisie du système auquel il appartient. 

« La religion catholique, dont j’ai failli devenir un serviteur, enseigne que les Nègres sont naturellement esclaves. Toutefois, si les Nègres sont esclaves, je sais parfaitement qu’ils ne le sont pas par décret divin, mais bien parce qu’il convient de le penser pour continuer de les vendre sans remords. » 

page 54 

Porté par des valeurs humanistes, il va s’intéresser véritablement à la culture sénégalaise et s’ouvrir à une autre vision du monde.  

« J’ai tout simplement appris une de leurs langues. Et dès que j’ai su assez le wolof pour le comprendre sans hésitation, j’ai eu le sentiment de découvrir peu à peu un paysage magnifique qui, grossièrement reproduit par le mauvais peintre d’un décor de théâtre, aurait été habilement substitué à l’original. » 

page 55 

Il comprend donc que les richesses sont différentes et qu’il n’y a pas lieu de mépriser un peuple sous prétexte qu’il accorde de l’importance à des valeurs différentes des nôtres. 

 « Leur langue est la clef qui m’a permis de comprendre que les Nègres ont cultivé d’autres richesses que celles que nous poursuivons juchés sur nos bateaux. » 

page 56 

Michel Andanson a une vision égalitariste. En effet, à plusieurs reprises, il précise que telle chose vaut bien ce que les occidentaux possèdent. 

Par exemple, concernant les langues : 

« La langue wolof, parlée par les Nègres du Sénégal, vaut bien la nôtre. Ils y entassent tous les trésors de leur humanité : leur croyance dans l’hospitalité, la fraternité, leurs poésies, leur histoire, leur connaissance des plantes, leurs proverbes et leur philosophie du monde. » 

page 56 

Ou encore la conception de la vie : 

« J’ai découvert ainsi, en racontant ma généalogie à Ndiak, que, lorsqu’on apprend une langue étrangère, on s’imprègne dans le même élan d’une autre conception de la vie qui vaut bien la nôtre. »

page 110

Même si Michel Andanson est présenté comme un humaniste ne voyant pas les différences entre les peuples, il garde quand même une certaine ambiguïté. Malgré tout ce qu’il a vu au Sénégal, il ne s’engagera que mollement contre l’esclavage à son retour, allant même jusque’à le justifier. 

« Et, prisonnier de ma quête de reconnaissance et de gloire, institué par mes pairs spécialistes de tout ce qui avait trait au Sénégal, j’ai publié une notice, destinée au bureau des Colonies, sur les avantages du commerce des esclaves pour la Concession du Sénégal à Gorée. »

page 237

De plus, il a pleinement conscience que son amour pour Maram ne l’aurait pas exonéré de ses préjugés et qu’il n’aurait pu s’empêcher de vouloir la transformer.  

« Je ne partageais pas les croyances de Maram, que je jugeais superstitieuses, mais j’aurai volontiers partagé ma vie avec elle. Aurions-nous pu vivre heureux ensemble ? N’aurais-je pas tenté, si je l’avais épousée, de la rendre acceptable pour mon entourage en substituant mes certitudes aux siennes ? […]mes préjugés m’auraient peut-être conduit à désirer la « blanchir ». » 

page 177 

Si les écrits qu’il lègue à sa fille montrent qu’il est pétri de regrets, ils ne sont pas non plus un appel à changer le système et à lutter contre l’esclavage. Il s’agit d’un témoignage touchant d’un père à sa fille mais cette dernière saura t’elle y déceler une pensée humaniste et s’engager contre le système esclavagiste ? 

« Découvrir ces feuilles manuscrites, c’était peut-être découvrir un Michel Andanson caché, intime, qu’elle n’aurait jamais connu autrement. » 

page 48

Littérature africaine

Lecture croisée sur l’émancipation de la femme africaine

La condition de la femme est par conséquent le noeud de toute la question humaine, ici, là-bas, partout. Elle a donc un caractère universel.

Page 27 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique, Thomas Sankara

Résumé

Les impatientes

Au Cameroun, il existe des cultures où les femmes n’ont droit à rien et ont pour seul destin leur mariage. On leur répète sans cesse d’être patientes et de tout supporter en silence. Le récit présente le destin croisé de trois femmes qui n’en peuvent plus d’être patientes. Mariées de force, violées, humiliées, elles sont contraintes de tout accepter… mais jusqu’à quand ? Ramla, Safira et Hindou sont le reflet de la condition féminine au Sahel. A travers leurs histoires, l’actrice dénonce l’ensemble des violences faites aux femmes, ce qui donne au récit une portée universelle. 

L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique 

Lors d’un rassemblement de plusieurs milliers de femmes à Ouagadougou, le 8 mars 1987, Thomas Sankara livra un discours puissant dans lequel il appela à la fin de l’oppression des femmes. Il expose les origines de cette oppression et explique à quel point cela pose problème non seulement au Burkina Faso mais aussi dans le monde entier. Il développe une compréhension marxiste de la société humaine et met la libération de la femme au service de la Révolution. 

Analyse

Le féminisme est souvent considéré comme une valeur occidentale et est parfois présenté en opposition à certaines traditions africaines. Pourtant, que ce soit en Occident ou en Afrique, force est de constater que le patriarcat est le schéma dominant (bien qu’il existe des sociétés matriarcales sur le continent africain). Ainsi, il serait faux de croire que la lutte féministe est une lutte occidentale. Cette lutte existe aussi en Afrique et ces deux livres en sont le parfait exemple. 

La critique des sociétés patriarcale

La vidéo montrant un pasteur africain affirmer avec fougue que « La place de la femme c’est la cuisine » a fait le tour du monde. Si cette vidéo a pu nous faire rire (jaune), elle ne doit pas nous faire oublier que c’est une réalité pour certaines femmes sur le continent (et dans de nombreuses régions du monde). 

La patriarcat peut se définir grossièrement comme une société dominée par les hommes et fondée sur l’autorité prépondérante du père. Pour autant, il n’est pas pertinent de comparer le patriarcat qui s’exerce en Occident à celui qui s’exerce en Afrique ou encore en Asie ou en Amérique. Chaque culture a ses propres spécificités et la comparaison peut vite atteindre ses limites. 

On peut cependant soulever le fait que les premières victimes de ces systèmes sont les femmes. Elles sont bien souvent placées à un rang inférieur et mènent une vie jalonnée d’épreuves. 

Dans le livre Les impatientes, Djaïli Amadou Amal dénonce le poids du mariage ainsi que la polygamie et les mariages forcés. Dans la société qu’elle décrit, les filles sont élevées dès le plus jeune âge dans le seul objectif d’être mariées.

« Nous ne sommes ni les premières ni les dernières filles que mon père et mes oncles marieront. Au contraire, ils sont plutôt contents d’avoir accompli sans faille leur devoir. » 

page 21 – Les impatientes

Dans certaines cultures, le mariage apparaît comme un véritable instrument de domination. Après la domination du père, les femmes subissent la domination de leur époux. 

« Les conseils d’usage qu’un père donne à sa fille au moment du mariage, et par ricochet, à toutes les femmes présentes, on les connaissait déjà par coeur. Ils ne se résumaient qu’à une seule et unique recommandation : soyez soumises ! » 

page 77 – Les impatientes

Les femmes sont muselées, elles n’ont pas le droit à la parole et doivent être totalement soumises. La vie maritale est le destin funeste promis aux jeunes filles, une prison dont elles ne peuvent s’échapper. 

« En catimini, les femmes de la famille me parlaient du mariage comme d’un devoir auquel on ne pouvait échapper. Et si, par malheur, il m’arrivait encore d’évoquer l’amour, elles me traitaient de folle, me disaient que j’étais égoïste et puérile, que je manquais de coeur et n’avais pas la sens de la dignité. » 

page 54 – Les impatientes

Cette condition est également dénoncée par Thomas Sankara. Bien que la situation soit différente au Burkina Faso, les femmes sont pour lui tombées dans le piège du patriarcat. 

« La tendresse protectrice de la femme à l’égard de la famille et du clan devient le piège qui la livre à la domination du mâle. » 

page 29 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Ces deux écrits ont pour point commun de dénoncer le poids des coutumes et des traditions qui empêche l’émancipation des femmes.

« La coutume interdit aux filles d’éconduire un prétendant. Même si l’on n’est pas intéressée, on doit quand même éviter de froisser un homme. » 

page 37 – Les impatientes

Bien que les traditions camerounaises et burkinabé soient différentes, les femmes subissent des formes d’oppression que les auteurs dénoncent avec force. 

« Un homme, si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer : sa femme. » 

page 34 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Je répète que ces ouvrages ne sont pas une description de ce que vive toutes les femmes africaines au sein des 54 pays du continent. Djaïli Amadou Amal décrit la situation des femmes dans certaines communautés peules et de la condition féminine au Sahel et Thomas Sankara adresse son discours aux femmes burkinabé. C’est certes une réalité mais il ne faut pas généraliser à l’ensemble du continent africain. Ce qui est intéressant dans ces ouvrages est de montrer que les idées féministes existent aussi en Afrique.

L’émancipation des femmes nécessaire à la libération du Continent

Djaïli Amadou Amal, décrit parfaitement les conséquences de ces différentes oppressions sur les femmes. 

« Il est difficile, le chemin de vie des femmes ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. A toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable […] J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs. » 

page 121 – Les impatientes

Le fait de tout devoir supporter en silence a un impact sur la santé mentale des femmes africaines et fini par les détruire totalement. 

« On confirme que je suis folle. On commence à m’attacher. Il parait que je cherche à fuir. Ce n’est pas vrai. Je cherche juste à respirer. Pourquoi m’empêche-t-on de respirer ? De voir la lumière du soleil ? Pourquoi le prive-t-on d’air ? Je ne suis pas folle. […] Si j’entends des voix ce n’est pas celle du djinn. C’est juste la voix de mon père. La voix de mon époux et celle de mon oncle. La voix de tous les hommes de ma famille. […] Non, je ne suis pas folle. Pourquoi m’empêcher-vous de respirer ? Pourquoi m’empêchez-vous de vivre ? » 

pages 151-152 – Les impatientes

Le livre Les impatientes contient de nombreux passages éprouvants. Sa lecture est difficile et bouleversante. C’est pourtant une lecture nécessaire pour comprendre l’impact des sociétés fondées sur la domination masculine. En le lisant, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les femmes afghanes dont les conditions de vie ont empiré avec le retour des talibans. 

C’est la raison pour laquelle, Thomas Sankara souhaite mettre fin à la société patriarcale et dominatrice de son pays. 

« Aussi le  sort de la femme ne s’améliorera-t-il qu’avec la liquidation du système qui l’exploite. » 

page 30 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Balayant toute idée d’infériorité de la femme, Thomas Sankara met en avant sa force. Son discours est une ode à la femme burkinabé et à la femme de manière générale. Entre colère contre des hommes qui ne cessent d’exploiter et de soumettre les femmes et exaltation à la libération, son discours résonne encore aujourd’hui. 

« […] cet être dit faible mais incroyable force inspiratrice des voies qui mènent à l’honneur […] »

page 25 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Pour lui, la libération des femmes est étroitement associée à la Révolution. Les femmes sont utiles à la société. Il ne s’agit pas d’êtres fragiles mais de véritables forces. A ce titre, les laisser rayonner est un service rendu à la nation. 

« Car la révolution ne saurait aboutir sans l’émancipation véritable des femmes. » 

page 53 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Ainsi, si ces deux livres parlent de la situation des femmes dans des sociétés bien distinctes, il n’en ont pas moins un dimension universel. 

« Cette main de la femme qui a bercé le petit de l’homme, c’est cette main qui bercera le monde entier. » 

page 67 – L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique

Ces deux livres m’ont permis de prendre conscience qu’il existe une véritable lutte féministe sur le continent africain. Il serait réducteur d’associer cette valeur uniquement au monde occidental. Souvent caricaturée, la femme africaine a de grands enseignements à partager au reste du monde et ses luttes méritent d’être mises en lumière.

Littérature africaine

Nations Nègres et Culture, Cheikh Anta Diop

Ce qui est indispensable à un peuple pour mieux orienter son évolution, c’est de connaître ses origines, quelles qu’elles soient

Page 19

Informations générales

  • Année de parution : 1979
  • Genre : Essai 
  • Editeur : Présence Africaine
  • Nombre de pages : 562

Analyse

Ceux qui s’intéressent à la littérature africaine connaissent forcément cette oeuvre majeure de Cheikh Anta Diop. Le livre est divisé en deux parties, la première concerne l’histoire africaine et la seconde concerne la linguistique et l’étude de la culture. 

Cet ouvrage présente une analyse rigoureuse, précise et scientifique tendant à démontrer l’origine noire de l’Egypte antique et surtout l’apport de la civilisation noire au monde. 

La recherche d’une origine noire de l’Egypte antique 

Considérées comme révolutionnaires à leur parution, les thèses développées dans cet ouvrage, sont aujourd’hui de plus en plus acceptées par la communauté scientifique même si elles sont encore controversées comme nous allons le voir par la suite. 

Le titre complet de l’ouvrage est Nations Nègres et Culture, De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’aujourd’hui. Quand on pense à l’Egypte antique, ce sont souvent les mêmes images qui nous viennent en tête. Popularisée par le cinéma et la pop culture, l’image de Pharaons et d’égyptiens à la peau blanche est acceptée comme une représentation normale des peuples de l’Egypte antique. 

Cependant, Cheikh Anta Diop va s’attacher à démontrer que cette représentation est en grande partie erronée. Pour cela, il adopte une démarche scientifique et s’appuie sur ses qualités d’anthropologue pour présenter les arguments en faveur d’une « origine nègre de la race et de la civilisation égyptienne » avant d’analyser les arguments adverses. 

Il commence par démontrer la parenté entre l’Egypte et l’Afrique noire en soulignant la présence de pharaons d’Egypte soudanais pendant la XXVe dynastie. Ces derniers étaient surnommés les « pharaons noirs », les « pharaons koushites » ou encore les « pharaons éthiopiens ».  

Il démontre ensuite que les premières dynasties nubiennes se sont prolongées avec les dynasties égyptiennes jusqu’à l’occupation de l’Egypte par les Indo-Européens, à partir du Ve siècle avant J.-C.

« L’Ethiopie et l’intérieur de l’Afrique ont toujours été considérées par les Egyptiens comme la terre sacrée d’où étaient venus leurs ancêtres » 

page 221

L’étude de la linguistique permet également de renforcer la thèse d’une Egypte aux origines noires selon lui. Ainsi, le pays des Amam ou pays des ancêtres, ensemble du pays de Koush au sud de l’Egypte, était appelé la « terre des Dieux » par les égyptiens. De même, l’auteur se livre à une longue comparaison des mots égyptiens et wolof, une des langues parlées notamment au Sénégal, pour démontrer leur origine commune. 

A travers son oeuvre, il exhorte les égyptologues à prendre en compte l’origine noire de l’Egypte. Pour ce faire, il réfute les thèses allant à l’encontre une origine noire de la civilisation égyptienne. Ainsi, sur l’argument des cheveux lisses et des traits dits « réguliers », Cheikh Anta Diop rappelle qu’ils ne sont pas l’apanage des peuples blancs et citent l’exemple des nubiens et des indiens.

C’est ici l’occasion de mettre en lumière la grande diversité des peuples d’Afrique noire. Certains stéréotypes ont longtemps empêché de voir la diversité des différents peuples. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre parler du continent africain comme s’il s’agissait d’un pays. Même s’il recherche une origine commune à la civilisation égyptienne, Cheikh Anta Diop met aussi en lumière la diversité du continent et des peuples en étudiant l’origine de plusieurs ethnies africaines telles que les Peuls, les Yoroubas, les Maures ou encore les Toucouleurs. 

Si ces thèses sont célébrées par certains intellectuels comme Aimé Césaire, qui le qualifiait d’érudit, ou Ernest Pépin, d’autres sont sceptiques et remettent en cause ses méthodes scientifiques. De nos jours, la thèse la plus communément admise est celle selon laquelle les égyptiens antiques n’étaient ni noirs, comme le sont les peuples d’Afrique noire, ni blanc, comme les occidentaux, mais étaient en réalité comme leurs descendants méditerranéens actuels. 

L’apport de l’homme noir à la civilisation 

La question que l’on peut se poser est de savoir pourquoi tant de débats à propos de la couleur de peau d’un peuple de l’Antiquité ? Pourquoi est-ce important pour Cheikh Anta Diop de démontrer que la civilisation égyptienne était à l’origine noire ? 

L’Egypte ancienne fascine depuis toujours comme l’a montré l’engouement provoqué par l’exposition sur Toutânkhamon en 2019. Cette Egypte fantasmée a longtemps symbolisé la naissance de la Civilisation et l’apport de l’Egypte antique est reconnu dans le monde entier. 

C’est la raison pour laquelle Cheikh Anta Diop veut que soit reconnu l’apport des civilisations noires à l’humanité. En effet, beaucoup pensent que l’histoire de l’Afrique noire commence avec l’esclavage et la colonisation. Ainsi, le 26 juillet 2007, l’ancien président Nicolas Sarkozy affirma que « l’homme africain [n’était] pas assez entré dans l’Histoire » (comble de l’ironie, il prononça ce discours à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar).  

Ainsi, trop longtemps, le peuple noir a souffert de caricatures et autres dénigrements alors même que son histoire est riche et bien trop souvent méconnue. Il est donc important pour un peuple de connaître ses origines et de les assumer avec fierté. 

« L’humanité ne doit pas se faire par l’effacement des uns au profit des autres ; renoncer prématurément et d’une façon unilatérale, à sa culture nationale pour essayer d’adopter celle d’autrui et appeler cela une simplification des relations internationales et un sens du progrès, c’est se condamner au suicide. » 

page 17

En effet, pour l’auteur, le fait de renouer avec son histoire et sa culture, permettra de redonner au peuple sa fierté et sa confiance en lui. 

« On peut concevoir le jour où l’économie africaine sera entre les mains des Africains eux-mêmes et qu’elle ne sera plus adaptée à des nécessités d’exploitation mais à leurs besoins, la concentration démographique s’en trouvera modifiée » 

page 406

C’est pourquoi Cheikh Anta Diop combattait farouchement les thèses ayant pour but de « blanchir » l’histoire des civilisations africaines et de reléguer les noirs à l’état de simples sauvages. En effet, pour lui, les historiens connaissaient la véritable origine de l’Egypte antique mais ont volontairement falsifié l’histoire. 

À une certaine époque, il n’était pas rare de trouver des expressions telles que « blancs à peau noire » , « blancs à peau rouge » ou encore « blancs à peau brune ». Ces étranges qualificatifs avaient pour but d’affirmer que toutes les grandes civilisations de l’histoire ont été fondées par des peuples blancs. 

Dans son ouvrage, Cheikh Anta Diop se moque de tous ces auteurs qui préfèrent se convaincre qu’il a existé des « blancs à peau noire » plutôt que de croire que les noirs aient pu être à l’origine d’une civilisation aussi importante que celle de l’Egypte antique. 

« En effet, s’il faut croire les ouvrages occidentaux, c’est en vain qu’on chercherait jusqu’au coeur de la forêt tropicale, une seule civilisation qui, en dernière analyse, serait l’oeuvre des Nègres ». 

page 13 

On le comprends donc, Cheikh Anta Diop militait contre l’effacement et la falsification de l’histoire du peuple noir et dénonçait un processus de domination. 

« L’usage de l’aliénation culturelle comme une arme de domination est vieux comme le monde. » 

page 14

Il rappelle dans son ouvrage que cette méthode a été utilisée par les romains sur les gaulois rebelles en les assimilant à de simples sauvages qu’il fallait éduquer et civiliser.

« Encrouter l’âme nationale d’un peuple dans un passé pittoresque et inoffensif parce que suffisamment falsifié est un procédé classique de domination. » 

page 16

Si les thèses de l’auteur sont encore très controversées, il est certain qu’il y eut bien des pharaons noirs qui ont été à la tête d’une civilisation brillante et puissante. Ainsi, même si toutes les thèses développées ne sont pas toutes admises scientifiquement, cette lecture a le mérite de mettre en lumière la richesse des civilisations noires et leur apport au monde.  

L’oeuvre de Cheikh Anta Diop a surtout permis d’approfondir l’étude de l’apport de l’Afrique noire dans le développement de la civilisation. Il permet de proposer une autre interprétation de l’histoire du monde et de combattre l’idée selon laquelle les occidentaux auraient « civilisé » l’Afrique. 

Ainsi, que l’homme noir soit ou non à l’origine de la civilisation égyptienne, on ne peut nier son apport au sein des plus grandes civilisations. Cette prise de conscience est la raison pour laquelle je recommande cette lecture. Cheikh Anta Diop m’a permis de réaliser que mes ancêtres n’étaient ni des sauvages, ni uniquement des esclaves mais qu’ils ont fait partie intégrante d’une des plus grandes civilisations du monde. 

L’auteur


Cheikh Anta Diop est un anthropologue, historien et homme politique d’origine aristocratique wolof né en 1923 et mort en 1986 au Sénégal. Esprit brillant, il étudia à Paris la physique, l’histoire et les sciences sociales. L’oeuvre de sa vie fut de démontrer l’apport de l’Afrique noire à la civilisation mondiale. Il lutta également pour l’indépendance des pays africains et pour la constitution d’un Etat fédéral en Afrique. Depuis 1987, l’Université de Dakar porte son nom.