Eh bien ! C’est à croire que vraiment cette catégorie de femmes que sont les vieilles mères noires et pauvres détiennent, dans le cœur qui bat sous leurs haillons, comme un pouvoir de changer la crasse en or, de rêver et de vouloir avec une telle ferveur que, de leurs mains terreuses, suantes et vides, peuvent éclore les réalités les plus palpables, les plus immaculées et les plus précieuses.
page 185
Informations générales
- Année de parution : 1950
- Genre : Roman autobiographique
- Nombre de pages : 311
Résumé
José est une jeune garçon vivant avec sa grand-mère, m’man Tine, à la rue Cases-Nègres en Martinique dans les années 1930. Cette dernière travaille dans les champs de cannes à sucre pendant que José jouit d’une totale liberté avec les enfants de la rue.
D’aventures en aventures, les enfants sont plus libres que jamais pendant que leurs parents travaillent dans les champs. Un évènement mettra fin à cette liberté et poussera m’man Tine à inscrire José à l’école. Commence alors une nouvelle vie pour le jeune José, qui se découvrira des talents pour l’étude et l’apprentissage.
L’histoire est racontée à la première personne. Ainsi les conditions de vie difficiles et les injustices subies par les descendants d’esclaves sont abordées à travers le regard enfantin de José, ce qui rend le récit encore plus poignant.
Avis et analyse
Aux Antilles, ce roman de Joseph Zobel est souvent étudié à l’école. Il présente l’avantage de proposer une approche en douceur de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. Cette histoire est bien présente et constitue la trame de fond du récit. Les personnages qui gravitent autour de José sont tous des reflets de cette histoire.
Il y a d’abord la figure forte de m’man Tine, une femme battante, capable de la plus grande douceur comme de la colère la plus terrible. C’est une femme déterminée qui fera tout pour que son petit-fils échappe au destin des descendants d’esclaves de l’époque, à savoir le travail dans les champs de cannes.
Plus tard dans le récit, la mère de José, m’man Délia, s’acharnera, elle-aussi, à assurer à son fils un meilleur avenir. Les femmes de la famille de José sont à l’image du modèle de la femme “potomitan”, expression créole qui désigne la femme pilier, la mère courage, celle qui porte sa famille.
Le lien avec l’Afrique apparaît avec le voisin de José, Monsieur Médouze, qui apparaît comme un grand-père de substitution. José aime passer du temps à ses côtés et écouter ses histoires et ses énigmes :
“ Tout l’attrait de ces séances de devinettes est de découvrir comment un monde d’objets s’apparente, s’identifie à un monde de personnes ou d’animaux.”
page 53
Ce passage est une référence claire à l’animisme, très présent en Afrique. Monsieur Médouze partage aussi avec José l’histoire de son pays d’origine, la Guinée :
“Rien de plus étrange que de voir M. Médouze évoquer la Guinée, d’entendre la voix qui monte de ses entrailles quand il parle de l’esclavage et raconte l’horrible histoire que lui avait dite son père, de l’enlèvement de sa famille, de la disparition de ses neufs oncles et tantes, de son grand-père et de sa grand-mère.”
page 57
Pour moi, Monsieur Médouze est le lien qui existe entre les sociétés antillaises et la terre mère, l’Afrique. Il est témoin d’une autre vie, une vie bien souvent oubliée par les descendants d’esclaves mais qui ne cesse d’influencer et d’imprégner la culture antillaise.
L’oeuvre est aussi une critique de la société post-esclavage et notamment de l’exploitation des anciens maîtres d’esclaves, les békés. Les conséquences sont nombreuses sur la vie des habitants de l’île :
“Non, non ! Je renie la splendeur du soleil et l’envoûtement des mélopées qu’on chante dans un champ de canne à sucre. Et la volupté fauve de l’amour qui consume un vigoureux muletier avec une ardente négresse dans la profondeur d’un champ de canne à sucre. Il y a trop longtemps que j’assiste, impuissant, à la mort lente de ma grand-mère par les champs de cannes à sucre”
page 211
José décrit ici la mort lente de ceux qui sont exploités au service des maîtres d’esclaves. La frontière est mince d’ailleurs entre la vie des descendants et celle que vivaient leurs ancêtres esclaves.
Une autre critique transparaît dans le récit, celle du complexe d’infériorité par rapport aux anciens maîtres. Ainsi, ce passage parle des liaisons entre femmes noires et békés :
“ Chacun sait que lorsque de telles liaisons naissent ces enfants à peau “sauvée”, la mère n’est que trop fière d’avoir – elle, noire comme le tableau noir de la conscience du béké – contribué à ce qui, dans leur complexe d’infériorité, tient à coeur beaucoup de nègres antillais : “Éclaircir la race”.”
page 278
Le colorisme est l’un des fléaux engendrés par l’esclavage, encore présent de nos jours, fustigé avec force par l’auteur.
Tous les personnages rencontrés par José sont un témoignage de la société de l’époque et servent à dénoncer ses problématiques. L’école et l’éducation occupent une place centrale dans l’ouvrage et s’offrent comme un échappatoire, même si les inégalités pour y accéder sont dénoncées.
Les réflexions de José et sa vision du monde évoluent avec l’âge et au fil des pages, nous poussant tantôt à l’émotion, tantôt à l’indignation, mais surtout nous faisant prendre conscience de la richesse et de la complexité de l’histoire des sociétés antillaises.
L’auteur

Né en 1915 à Rivière-Salée en Martinique et mort en 2006 à Alès, Joseph Zobel était un romancier et poète martiniquais considéré comme l’un des plus grands auteurs de la littérature antillaise. La Rue Cases-Nègres est un roman autobiographique dans lequel on en apprend plus sur son enfance et son parcours.