Lectures diverses

Mille petits riens, Jodi Picoult

Peut-être qu’il est possible de haïr quelqu’un autant qu’on l’a aimé. Comme la doublure d’une poche qu’on aurait retournée. En toute logique, l’inverse doit être vrai aussi.

page 632

Informations générales

  • Année de parution : 2016
  • Genre : Roman américain
  • Nombre de pages : 664

Résumé

Ruth est une sage-femme afro-américaine passionnée par son métier qu’elle exerce depuis plus de vingt ans. Son parcours est exemplaire et elle se veut comme un modèle d’intégration au sein de la société américaine. Sa vie va être bouleversée lorsqu’elle va croiser le chemin de Turk et Brittany Bauer, un couple de suprémacistes blancs dont la femme est venue accoucher à l’hôpital où Ruth travaille. En effet, lorsque leur bébé décède à l’hôpital, Ruth va être, pour eux et pour tout un système raciste, la coupable idéale.

Avis et analyse 

Le récit est raconté à trois voix. Le lecteur est invité à suivre l’histoire à travers le point de vue de Ruth, l’infirmière, Turk Bauer, le père du bébé décédé et Kennedy, une avocate qui va tout faire pour aider Ruth. Au début, j’ai eu un peu de mal avec cette idée. Avais-je vraiment envie de lire le point de vue d’un suprémaciste blanc ? De plus, l’auteur Jodi Picoult n’étant pas une personne de couleur, j’avais quelques appréhensions à lire la manière dont elle allait se mettre dans la peau d’une afro-américaine. 

Finalement ce fut une vraie bonne surprise. Le véritable apport de ce roman est la prise de conscience progressive des personnages. C’est très intelligent de la part de l’auteur car cela permet de comprendre les problématiques raciales à travers un chemin évolutif. 

Ainsi, au début, Ruth me semblait peu concernée par ces questions et obnubilée par sa volonté d’intégration, au contraire de sa soeur Adissa qui représente l’afro-américaine révoltée et engagée. 

Alors que cette dernière vit dans un quartier pauvre avec ses nombreux enfants et est constante lutte contre le système établi, Ruth, est quant à elle obsédée par l’idée de « s’intégrer ». Pour cela, elle a fait le choix d’habiter un quartier résidentiel bourgeois, a obtenu son diplôme dans l’une des meilleures universités américaines et pousse sans cesse son fils à gravir les échelons universitaires. 

A de nombreuses reprises, Ruth ferme les yeux sur des attitudes offensantes que peuvent avoir ses collègues blancs et préfère leur trouver des excuses. De même, elle a parfois tendance à oublier ses origines. Ainsi, alors que sa mère lui avait dit de ne jamais oublier d’où elle venait, elle s’interroge : 

« Et comme elle n’avait cessé de me pousser hors du nid depuis que j’étais toute petite, pourquoi me demandait-elle à présent d’emporter avec moi les brindilles de ce nid ? Ne pouvais-je voler plus haut sans elles ? » 

page 249

Ce n’est pas un reniement total de ses origines car Ruth a bien conscience de tous les sacrifices que sa mère a fait pour qu’elle puisse s’élever. 

Si sa volonté de s’intégrer à tout prix sans jamais se révolter m’a quelques fois agacée, j’ai réalisé qu’elle menait en réalité une véritable lutte silencieuse. 

Le combat qu’elle mène ira à son paroxysme lorsqu’elle sera accusée à tort de la mort du bébé des Bauer. Mais toute la colère qui était en elle risque bien d’exploser à un moment crucial de l’histoire. 

Ils m’ont attaché les poignets, juste comme ça, comme si ce geste ne réveillait pas deux siècles d’histoire qui se sont aussitôt répandus dans mes veines avec la charge d’une décharge électrique. Sans penser un instant que je ressentirais ce qu’ont ressenti mon arrière-arrière-grand-mère et sa mère, debout sur l’estrade pendant la vente aux enchères des esclaves. Ils m’ont menottée sous les yeux de mon fils, mon fils à qui je répète depuis le jour de sa naissance qu’il est bien plus qu’une couleur de peau.” 

page 244

Kennedy quant à elle est l’archétype de la femme blanche ayant l’envie de sauver le monde. J’ai beaucoup aimé ce personnage, malgré son léger white savior complex (le complexe du sauveur blanc). Pétrie de bonnes intentions, elle refuse pourtant d’ouvrir les yeux sur la question raciale.

«  – Personnellement, je me fiche de ces histoires de couleur, déclare-t-elle. Je veux dire : la seule race qui importe c’est la race humaine, non ? 

C’est facile de prétendre qu’on est tous dans le même bateau quand la police n’a pas débarqué chez vous en pleine nuit. Mais je sais que, quand les Blancs racontent ces trucs-là, c’est parce qu’ils croient dur comme fer que c’est bien de les dire et pas une seconde ils ne se rendent compte de la nonchalance de leurs propos. » 

page 289

Elle finira cependant par comprendre la situation de ses concitoyens de couleur. A travers le personnage de Kennedy, c’est la prise de conscience de l’auteur elle-même qui transparaît. 

« – Je sais ce que vous pensez en ce moment : Je ne suis pas raciste, moi. C’est clair, nous avons eu un exemple vivant de ce qu’est le vrai racisme, incarné ici par Turk Bauer. Je doute que vous soyez nombreux, mesdames et messieurs les jurés, à croire, comme Turk, que vos enfants sont des guerriers de la race et que les Noirs sont des êtres tellement inférieurs qu’ils ne devraient pas même avoir le droit de toucher un bébé blanc. Pourtant, même si nous décidions d’envoyer tous les néonazis de cette planète sur Mars, le racisme existerait encore. Parce qu’en réalité le racisme ne se résume pas à la haine. Nous avons tous des préjugés, même si nous n’en sommes pas conscients. Ce qu’il faut savoir, c’est que le racisme est également lié à l’identité des personnes qui détiennent le pouvoir… Et qui y ont accès. Voyez-vous, lorsque j’ai commencé à travailler sur cette affaire, je ne me considérais pas comme quelqu’un de raciste. A présent, je sais que je le suis. Pas parce que je hais les personnes qui ne sont pas de la même race que moi, non, mais parce que – intentionnellement ou inconsciemment – j’ai profité de la couleur de ma peau, de la même manière que Ruth Jefferson a subi un grave revers à cause de la sienne. »

page 613

C’est pour ce genre de plaidoirie pleine de justesse et de vérité que j’aime beaucoup ce personnage. Mais Kennedy est aussi très drôle et de nombreuses situations avec sa fille, son mari et sa mère sont très cocasses. Ainsi, les parties du livre racontées du point de vue de Kennedy sont les bienvenues pour détendre l’atmosphère d’une lecture qui met en lumière autant d’injustices.   

Enfin, Turk est absolument insupportable. Toutefois, son récit est intéressant car il permet de mieux comprendre les rouages des organisations suprémacistes. On y découvre leur méthode de recrutement et leur façon de semer la terreur. On apprend surtout que bien souvent il s’agit de personnes extrêmement mal dans leur peau qui font souffrir pour oublier leur souffrance. 

« Je savais ce que ça faisait de faire souffrir, juste pendant quelques instants, au lien de souffrir soi-même » 

page 233 

Je ne vais pas gâcher votre plaisir en dévoilant l’évolution de Turk Bauer et je laisse à chacun l’opportunité de découvrir sa destinée à la fin du roman ainsi que les rebondissements rencontrés par sa famille. 

Ce récit à trois voix permet de comprendre véritablement les problèmes rencontrés par les personnes de couleur aux Etats-Unis et le poids du passé du pays sur ces citoyens. Cette situation est loin d’être un cas isolé et ce genre de problématiques se retrouvent également en France. C’est pourquoi j’espère que cette lecture permettra aux lecteurs d’ouvrir les yeux et de prendre réellement conscience des injustices subies par leurs concitoyens.

L’auteur

Jodi Picoult est une auteure américaine bien connue. Elle avoue avoir mis du temps à écrire ce roman en raison de la difficulté d’aborder la question raciale lorsqu’on n’est pas soi-même victime de discrimination. Finalement, elle aura trouvé le meilleur moyen de le faire avec ce roman et comme elle l’écrit elle-même dans sa postface : 

« Je voulais écrire cette histoire à l’attention de ma propre communauté – les Blancs – qui, si elle sait très bien montrer du doigt un skinhead néonazi en le traitant de raciste, éprouve davantage de difficultés à discerner les pensées racistes qu’elle porte en elle. »

Lectures diverses

Une brève histoire du temps, Stephen Hawking

Cependant, si nous découvrons une théorie complète, elle devrait un jour être compréhensible dans ses grandes lignes par tout le monde, et non par une poignet de scientifiques. Alors, nous tous, philosophes, scientifiques et même gens de la rue, serons capables de prendre part à la discussion sur la question de savoir pourquoi l’univers et nous existons. Si nous trouvons la réponse à cette question, ce sera le triomphe ultime de la raison humaine – à ce moment, nous connaîtrons la pensée de Dieu. 

Page 220

Informations générales

  • Année de parution : 1988
  • Genre : Vulgarisation scientifique
  • Nombre de pages : 237

Résumé

Stephen Hawking signe son premier livre destiné aux non-spécialistes. Il expose, avec simplicité et une touche de poésie, les développements de l’astrophysique de son époque concernant la nature du temps et de l’Univers. 

Ainsi, il nous fait découvrir les théories de Galilée ou celles d’Einstein, explique la nature des trous noirs et nous fait partager son rêve de découvrir une théorie unitaire combinant et unifiant la relativité générale et la mécanique quantique. En effet, pour lui, l’ultime but de la science est de fournir une théorie unique qui décrive l’Univers dans son ensemble. 

Au fond, ce que cherche véritablement Stephen Hawking c’est de comprendre les intentions qui ont menées à la Création.

« Ce qui signifierait que Dieu, étant omniprésent, aurait pu faire démarrer l’Univers à sa guise. Peut-être en est-il ainsi mais, dans ce cas, Dieu aurait dû aussi le développer d’une façon complètement arbitraire. Pourtant, il apparaît qu’il a choisi de le faire évoluer d’une façon très régulière, selon certaines lois. » 

pages 29-30

Pour moi, un des aspects magiques des livres, c’est qu’ils nous ouvrent les portes d’un univers infini de connaissances. C’est particulièrement le cas lorsque l’un des plus grands physiciens partage avec nous une partie de son pouvoir. 

« Mais jamais, depuis l’aube de la civilisation, les hommes ne se sont accommodés d’évènements hors cadre et inexplicables. Ils ont toujours eu soif de comprendre l’ordre sous-jacent dans le monde. Aujourd’hui, nous avons encore très envie de savoir pourquoi nous sommes là et d’où nous venons. Ce désir de savoir, chevillé à l’humanité, est une justification suffisante pour que notre quête continue. Et notre but n’est rien moins qu’une description complète de l’Univers dans lequel nous vivons. » 

page 33 

Je vous propose un petit résumé de ce que j’ai appris au cours de cette lecture ! 

Ce que j’ai appris 

J’ai pu avoir un début de compréhension, dans ses grandes lignes, de la théorie de la relativité. J’ai compris que son postulat fondamental est le fait que les lois de la physique devraient être les mêmes pour tous les observateurs en mouvement à n’importe quelle vitesse. C’est de cette théorie que sont nés deux autres principes, à savoir le principe de l’équivalence de la masse et de l’énergie, avec la célèbre formule E = MC2 et le principe selon lequel rien ne peut se déplacer plus vite que la vitesse de la lumière (sauf moi quand j’entends qu’on passe à table). 

Stephen Hawking nous entraîne aussi dans les réflexions d’Albert Einstein à travers le long chemin qui l’a conduit à élaborer sa théorie de la Relativité Générale. C’est en 1915, qu’Einstein la propose après avoir tenté d’expliquer la théorie de la Relativité restreinte. Avec la théorie de la Relativité Générale, il va démontrer que l’espace-temps est courbé par la masse et l’énergie qu’il contient. Il prédit également que le temps devrait apparaître plus lent près d’un corps massif comme la Terre. 

J’ai aussi appris que l’Univers s’étend d’environ 5 à 10% tous les milliards d’années. Je n’ai pas totalement compris comment ni pourquoi mais c’est aussi la question que se pose de nombreux scientifiques. 

J’ai adoré apprendre comment se forment les étoiles. Elles se forment lorsqu’une grande quantité de gaz s’effondre sur elle-même à cause de l’attraction gravitationnelle. A ce moment, c’est la fête, les atomes de gaz se heurtent de plus en plus vite et de plus en plus souvent, ce qui entraîne un réchauffement du gaz.

L’hydrogène devient si chaud que lorsque les atomes entrent en collision, ils ne rebondissent plus au loin mais s’unissent pour former de l’hélium, un peu comme les sessions zouk en fin de soirée où tout le monde fini collé-serré. C’est la chaleur dégagée pendant cette réaction qui explique pourquoi les étoiles brillent. La chaleur augmente la pression du gaz et contrebalance l’attraction gravitationnelle. Ainsi, le gaz cesse de se contracter. Une étoile est née !

Une des choses qui m’impressionne le plus dans l’Univers, ce sont les trous noirs. J’ai donc beaucoup aimé les explications de Stephen Hawking à ce sujet. Tout commence avec la mort d’une étoile. Une étoile meurt quand elle a brûlé toutes ses réserves (son hydrogène et d’autres carburants nucléaires). Elle fini par se refroidir et se contracter. 

La découverte des trous noirs a été longue et leur existence a longtemps été remise en question. Stephen Hawking retrace tout le questionnement qui a mené à leur découverte. Il y eu d’abord un étudiant indien, Subrahmanyan Chandrasekhar, qui se posa la question de la grosseur que devait avoir une étoile pour supporter sa propre masse après avoir brulé ses réserves. Oui, oui, il y a des étudiants qui se posent ce genre de questions. 

Il découvrit que les étoiles d’une masse supérieure à une masse limite (appelée limite de Chandrasekhar) s’effondrent sur elles-mêmes jusqu’à n’être plus qu’un point. Cela amena divers questionnements et des débats scientifiques intenses. Même Einstein avait du mal à admettre l’existence des trous noirs. 

Finalement, les divers travaux ont démontré que plus une étoile se contracte, plus le champ gravitationnel à sa surface devient intense et la lumière est déviée vers l’intérieur. Il devient de plus en plus difficile à la lumière de s’échapper et l’étoile devient plus sombre. Quand l’étoile est rétrécie jusqu’à un rayon critique, la lumière ne pourra plus s’échapper. Or, comme rien ne peut aller plus vite que la vitesse de la lumière comme on l’a vu, alors si lumière ne peut plus s’échapper rien d’autre ne le peut. 

Parmi ces travaux, Stephen Hawking a participé à démontrer que les trous noirs émettent des flots de rayons X et de rayons gamma. 

Il faut rappeler qu’à l’époque où Stephen Hawking a écrit ce livre, aucun trou noir n’avait jamais été observé. En 2019, une équipe internationale d’astrophysiciens a présenté la première photo d’un trou noir. Il s’agit du trou noir super massif M87* situé au coeur de la galaxie M87 ! Avec cette photo, on découvre une illustration exacte de ce que Stephen Hawking avait décrit dans son livre ! Magique … 

L’auteur


Stephen William Hawking, physicien et cosmologiste britannique, est surement l’un des esprits les plus brillants de notre époque contemporaine. Même les jours de sa naissance et de sa mort témoignent de son caractère exceptionnel. En effet, il est né le 8 janvier 1942, soit 300 ans jours pour jours après la mort de Galilée (8 janvier 1642) et mort le 14 mars 2018, la journée de Pi et le jour de l’anniversaire d’Albert Einstein (14 mars 1879). 

Ses travaux, notamment sur les trous noirs, l’ont rendu célèbre dans le monde entier. Ainsi, ceux qu’il a mené avec Roger Penrose, ont permis l’élaboration du théorème des singularités, qui détermine sous quelles conditions la formation d’un trou noir est inéluctable, et la prédiction que les trous noirs devraient émettre un rayonnement, appelé rayonnement de Hawking. 

Doté d’une intelligence exceptionnelle, il fut l’un des plus jeunes membres élus de la Royal Society en 1974. 

Cependant, il souffrait d’une forme rare de sclérose latérale amyotrophique (SLA ou maladie de Charcot) qui s’est déclarée lorsqu’il avait une vingtaine d’années et qui le paralysa progressivement. Il ne pouvait plus se nourrir seul et devint incapable de parler. A la suite d’une pneumonie, les médecins ont même pensé à arrêter les traitements. 

Sa femme se battit pour qu’on le maintienne en vie et il réussi à guérir de sa pneumonie. Afin qu’il puisse communiquer, diverses technologies ont été mises à contribution. Ainsi, il communiqua d’abord grâce à un dispositif alliant un commutateur dans sa main lui permettant d’écrire sur un ordinateur avec un synthétiseur vocal qui lisait ce qu’il venait de taper. 

Lorsqu’il perdit l’usage de ses mains, un capteur infrarouge fixé à une branche de ses lunettes détectaient les contractions d’un muscle de sa joue pour sélectionner les lettres une à une sur un clavier virtuel d’une tablette lui permettant ainsi d’exprimer cinq mots à la minute et de continuer à enseigner à l’Université de Cambridge jusqu’à 2009. Intel développa ensuite une nouvelle interface basée sur la reconnaissance faciale des mouvements de ses lèvres et sourcils. 

Toutes ces difficultés ne l’ont pas empêché de mener brillamment ses différents travaux et de recevoir de nombreuses récompenses (Commandeur de l’ordre de l’empire britannique en 1982, médaille présidentielle de la liberté aux Etats-Unis en 2009 etc.)

Il est donc assez formidable qu’un esprit aussi brillant et complexe, ayant autant de difficultés à communiquer à cause de sa maladie, ai pu nous faire partager ses pensées au sein d’ouvrages de vulgarisation scientifique aussi géniaux. Son livre Une brève histoire du temps fut d’ailleurs l’un des ouvrages du genre ayant rencontré le plus grand succès. 

Littérature africaine

Nations Nègres et Culture, Cheikh Anta Diop

Ce qui est indispensable à un peuple pour mieux orienter son évolution, c’est de connaître ses origines, quelles qu’elles soient

Page 19

Informations générales

  • Année de parution : 1979
  • Genre : Essai 
  • Editeur : Présence Africaine
  • Nombre de pages : 562

Analyse

Ceux qui s’intéressent à la littérature africaine connaissent forcément cette oeuvre majeure de Cheikh Anta Diop. Le livre est divisé en deux parties, la première concerne l’histoire africaine et la seconde concerne la linguistique et l’étude de la culture. 

Cet ouvrage présente une analyse rigoureuse, précise et scientifique tendant à démontrer l’origine noire de l’Egypte antique et surtout l’apport de la civilisation noire au monde. 

La recherche d’une origine noire de l’Egypte antique 

Considérées comme révolutionnaires à leur parution, les thèses développées dans cet ouvrage, sont aujourd’hui de plus en plus acceptées par la communauté scientifique même si elles sont encore controversées comme nous allons le voir par la suite. 

Le titre complet de l’ouvrage est Nations Nègres et Culture, De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’aujourd’hui. Quand on pense à l’Egypte antique, ce sont souvent les mêmes images qui nous viennent en tête. Popularisée par le cinéma et la pop culture, l’image de Pharaons et d’égyptiens à la peau blanche est acceptée comme une représentation normale des peuples de l’Egypte antique. 

Cependant, Cheikh Anta Diop va s’attacher à démontrer que cette représentation est en grande partie erronée. Pour cela, il adopte une démarche scientifique et s’appuie sur ses qualités d’anthropologue pour présenter les arguments en faveur d’une « origine nègre de la race et de la civilisation égyptienne » avant d’analyser les arguments adverses. 

Il commence par démontrer la parenté entre l’Egypte et l’Afrique noire en soulignant la présence de pharaons d’Egypte soudanais pendant la XXVe dynastie. Ces derniers étaient surnommés les « pharaons noirs », les « pharaons koushites » ou encore les « pharaons éthiopiens ».  

Il démontre ensuite que les premières dynasties nubiennes se sont prolongées avec les dynasties égyptiennes jusqu’à l’occupation de l’Egypte par les Indo-Européens, à partir du Ve siècle avant J.-C.

« L’Ethiopie et l’intérieur de l’Afrique ont toujours été considérées par les Egyptiens comme la terre sacrée d’où étaient venus leurs ancêtres » 

page 221

L’étude de la linguistique permet également de renforcer la thèse d’une Egypte aux origines noires selon lui. Ainsi, le pays des Amam ou pays des ancêtres, ensemble du pays de Koush au sud de l’Egypte, était appelé la « terre des Dieux » par les égyptiens. De même, l’auteur se livre à une longue comparaison des mots égyptiens et wolof, une des langues parlées notamment au Sénégal, pour démontrer leur origine commune. 

A travers son oeuvre, il exhorte les égyptologues à prendre en compte l’origine noire de l’Egypte. Pour ce faire, il réfute les thèses allant à l’encontre une origine noire de la civilisation égyptienne. Ainsi, sur l’argument des cheveux lisses et des traits dits « réguliers », Cheikh Anta Diop rappelle qu’ils ne sont pas l’apanage des peuples blancs et citent l’exemple des nubiens et des indiens.

C’est ici l’occasion de mettre en lumière la grande diversité des peuples d’Afrique noire. Certains stéréotypes ont longtemps empêché de voir la diversité des différents peuples. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre parler du continent africain comme s’il s’agissait d’un pays. Même s’il recherche une origine commune à la civilisation égyptienne, Cheikh Anta Diop met aussi en lumière la diversité du continent et des peuples en étudiant l’origine de plusieurs ethnies africaines telles que les Peuls, les Yoroubas, les Maures ou encore les Toucouleurs. 

Si ces thèses sont célébrées par certains intellectuels comme Aimé Césaire, qui le qualifiait d’érudit, ou Ernest Pépin, d’autres sont sceptiques et remettent en cause ses méthodes scientifiques. De nos jours, la thèse la plus communément admise est celle selon laquelle les égyptiens antiques n’étaient ni noirs, comme le sont les peuples d’Afrique noire, ni blanc, comme les occidentaux, mais étaient en réalité comme leurs descendants méditerranéens actuels. 

L’apport de l’homme noir à la civilisation 

La question que l’on peut se poser est de savoir pourquoi tant de débats à propos de la couleur de peau d’un peuple de l’Antiquité ? Pourquoi est-ce important pour Cheikh Anta Diop de démontrer que la civilisation égyptienne était à l’origine noire ? 

L’Egypte ancienne fascine depuis toujours comme l’a montré l’engouement provoqué par l’exposition sur Toutânkhamon en 2019. Cette Egypte fantasmée a longtemps symbolisé la naissance de la Civilisation et l’apport de l’Egypte antique est reconnu dans le monde entier. 

C’est la raison pour laquelle Cheikh Anta Diop veut que soit reconnu l’apport des civilisations noires à l’humanité. En effet, beaucoup pensent que l’histoire de l’Afrique noire commence avec l’esclavage et la colonisation. Ainsi, le 26 juillet 2007, l’ancien président Nicolas Sarkozy affirma que « l’homme africain [n’était] pas assez entré dans l’Histoire » (comble de l’ironie, il prononça ce discours à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar).  

Ainsi, trop longtemps, le peuple noir a souffert de caricatures et autres dénigrements alors même que son histoire est riche et bien trop souvent méconnue. Il est donc important pour un peuple de connaître ses origines et de les assumer avec fierté. 

« L’humanité ne doit pas se faire par l’effacement des uns au profit des autres ; renoncer prématurément et d’une façon unilatérale, à sa culture nationale pour essayer d’adopter celle d’autrui et appeler cela une simplification des relations internationales et un sens du progrès, c’est se condamner au suicide. » 

page 17

En effet, pour l’auteur, le fait de renouer avec son histoire et sa culture, permettra de redonner au peuple sa fierté et sa confiance en lui. 

« On peut concevoir le jour où l’économie africaine sera entre les mains des Africains eux-mêmes et qu’elle ne sera plus adaptée à des nécessités d’exploitation mais à leurs besoins, la concentration démographique s’en trouvera modifiée » 

page 406

C’est pourquoi Cheikh Anta Diop combattait farouchement les thèses ayant pour but de « blanchir » l’histoire des civilisations africaines et de reléguer les noirs à l’état de simples sauvages. En effet, pour lui, les historiens connaissaient la véritable origine de l’Egypte antique mais ont volontairement falsifié l’histoire. 

À une certaine époque, il n’était pas rare de trouver des expressions telles que « blancs à peau noire » , « blancs à peau rouge » ou encore « blancs à peau brune ». Ces étranges qualificatifs avaient pour but d’affirmer que toutes les grandes civilisations de l’histoire ont été fondées par des peuples blancs. 

Dans son ouvrage, Cheikh Anta Diop se moque de tous ces auteurs qui préfèrent se convaincre qu’il a existé des « blancs à peau noire » plutôt que de croire que les noirs aient pu être à l’origine d’une civilisation aussi importante que celle de l’Egypte antique. 

« En effet, s’il faut croire les ouvrages occidentaux, c’est en vain qu’on chercherait jusqu’au coeur de la forêt tropicale, une seule civilisation qui, en dernière analyse, serait l’oeuvre des Nègres ». 

page 13 

On le comprends donc, Cheikh Anta Diop militait contre l’effacement et la falsification de l’histoire du peuple noir et dénonçait un processus de domination. 

« L’usage de l’aliénation culturelle comme une arme de domination est vieux comme le monde. » 

page 14

Il rappelle dans son ouvrage que cette méthode a été utilisée par les romains sur les gaulois rebelles en les assimilant à de simples sauvages qu’il fallait éduquer et civiliser.

« Encrouter l’âme nationale d’un peuple dans un passé pittoresque et inoffensif parce que suffisamment falsifié est un procédé classique de domination. » 

page 16

Si les thèses de l’auteur sont encore très controversées, il est certain qu’il y eut bien des pharaons noirs qui ont été à la tête d’une civilisation brillante et puissante. Ainsi, même si toutes les thèses développées ne sont pas toutes admises scientifiquement, cette lecture a le mérite de mettre en lumière la richesse des civilisations noires et leur apport au monde.  

L’oeuvre de Cheikh Anta Diop a surtout permis d’approfondir l’étude de l’apport de l’Afrique noire dans le développement de la civilisation. Il permet de proposer une autre interprétation de l’histoire du monde et de combattre l’idée selon laquelle les occidentaux auraient « civilisé » l’Afrique. 

Ainsi, que l’homme noir soit ou non à l’origine de la civilisation égyptienne, on ne peut nier son apport au sein des plus grandes civilisations. Cette prise de conscience est la raison pour laquelle je recommande cette lecture. Cheikh Anta Diop m’a permis de réaliser que mes ancêtres n’étaient ni des sauvages, ni uniquement des esclaves mais qu’ils ont fait partie intégrante d’une des plus grandes civilisations du monde. 

L’auteur


Cheikh Anta Diop est un anthropologue, historien et homme politique d’origine aristocratique wolof né en 1923 et mort en 1986 au Sénégal. Esprit brillant, il étudia à Paris la physique, l’histoire et les sciences sociales. L’oeuvre de sa vie fut de démontrer l’apport de l’Afrique noire à la civilisation mondiale. Il lutta également pour l’indépendance des pays africains et pour la constitution d’un Etat fédéral en Afrique. Depuis 1987, l’Université de Dakar porte son nom. 

Lectures diverses

1984, George Orwell

Le crime de penser n’entraîne pas la mort. Le crime de penser est la mort.

Partie I, Chapitre 2

Informations générales

  • Année de parution : 1949
  • Genre : Roman dystopique 
  • Nombre de pages : 376 

Résumé

En 1984, trente ans après une guerre nucléaire entre l’Est et l’Ouest, le monde est divisé en trois grandes puissances, l’Océania, l’Eurasia et l’Estasia. Ces trois puissances se livrent une guerre perpétuelle pour le contrôle des quelques territoires restants sur la terre. Toutes sont gouvernées par des régimes totalitaires. 

L’histoire se déroule en Grande-Bretagne, désormais située en Océania, dans laquelle règne un régime totalitaire inspiré du nazisme et du stalinisme ayant pour idéologie l’Angsoc (Ingsoc en version originale). Big Brother, éternel chef suprême, est à la tête de ce système. 

Dans ce système, tous les habitants sont soumis à un contrôle permanent. Des télécrans (telescreen) les fixent et leurs moindres faits et gestes peuvent les condamner à mort. La liberté de penser et d’expression n’existent plus. La société est divisée en trois catégories sociales : le Parti Intérieur est la classe dirigeante, le Parti Extérieur regroupe les travailleurs moyens, et les Prolétaires sont au bas de l’échelle. 

Winston, un londonien employé du Ministère de la Vérité, est chargé de falsifier les archives historiques afin qu’elles soient en accord avec l’idéologie du Parti. Ouvrant de plus en plus les yeux sur sa condition et sur la réalité du monde dans lequel il vit, il décide de résister. Réalisant qu’il n’est pas seul à penser ainsi, il nourrit l’espoir que le monde change. Cependant, la Police de la Pensée le surveille étroitement.

Avis et analyse 

Il y a des livres qui nous marquent à jamais et 1984 est certainement l’un d’entre eux. Je suis restée sous le choc à la fin de ma lecture. Je ne dévoilerai pas la fin mais je dirais simplement que, pour moi, c’est elle qui fait de ce livre un chef d’oeuvre, certes terrifiant, mais un chef d’oeuvre tout de même. 

D’abord, l’écriture est magnifique. J’ai préféré la version originale à la traduction française donc, si vous le pouvez, je vous conseille de le lire en anglais. On est à la fois émerveillé à chaque lueur d’espoir et horrifié devant la cruauté et l’aspect visionnaire du récit. J’ai du, à plusieurs reprises, fermer mon livre et reprendre mon souffle avant de continuer. L’auteur réussit à faire peser sur le lecteur la pression qui pèse sur les personnages pour, au final, nous retourner littéralement le cerveau. 

Ensuite, ce roman est d’une incroyable justesse concernant les dangers du totalitarisme. Il fait partie de la culture moderne et, même sans l’avoir lu, beaucoup ont déjà entendu parler de Big Brother et du fameux slogan “Big Brother is watching you”. 

Loin de moi l’idée de procéder à une analyse exhaustive de tous les thèmes importants abordés dans ce roman. J’aborderai simplement quelques aspects du récit et j’espère vous donner envie de le découvrir ou de le redécouvrir. 

Les principes sacrés de l’Angsoc. Novlangue, double-pensée, mutabilité du passé. Winston avait l’impression d’errer dans les forêts des profondeurs sous-marines, perdu dans un monde monstrueux dont il était lui-même le monstre. Il était seul. Le passé était mort, le futur inimaginable.” 

Partie I, Chapitre 2 

Le contrôle du langage pour contrôler la pensée

Le Parti a pour projet l’instauration d’une nouvelle langue, la Novlangue (Newspeak), vouée à remplacer l’anglais. Cette nouvelle langue est plus conforme à l’idéologie du Parti. Le principe consiste à assembler des mots afin de diminuer le vocabulaire existant. Par exemple, le mot télécran est l’assemblage des mots télé et écran. 

Le but ultime de cette nouvelle langue est d’empêcher la survenance de toute pensée contraire à l’idéologie Angsoc. Voici un extrait dans lequel un employé du Service des Recherches, Syme, explique à Winston le fonctionnement de la Novlangue : 

Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os”. 

Partie I, Chapitre 5 

Plus précisément :

C’est une belle chose, la destruction des mots. Naturellement, c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez
« bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « double-plusbon ». Naturellement, nous employons déjà ces formes, mais dans la version définitive du novlangue, il n’y aura plus rien d’autre. En résumé, la notion complète du bon et du mauvais sera couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot. Voyez-vous, Winston, l’originalité de cela ? Naturellement, ajouta-t-il après coup, l’idée vient de Big Brother.
” 

Partie I, Chapitre 5 

La suppression de nombreux mots de vocabulaire rend impossible toute argumentation pour exprimer clairement sa pensée. Ainsi, la réduction du vocabulaire permet la réduction de la pensée. On y voit aussi un moyen de maintenir le peuple a un faible niveau de réflexion afin d’exercer un contrôle absolu sur lui sans risquer la moindre contestation. 

En effet, le simple fait de penser par soi-même est un véritable crime et la Police de la Pensée n’est jamais loin. C’est d’ailleurs pour cela qu’un nouveau mode de penser a été mis en place.

La doublepensée, une logique inversée

Le slogan du Parti ne manquera pas d’étonner le lecteur : 

LA GUERRE C’EST LA PAIX 

LA LIBERTÉ C’EST L’ESCLAVAGE 

L’IGNORANCE C’EST LA FORCE

Avec ce slogan, le Parti fait accepter au peuple l’inacceptable. La guerre n’est plus un état exceptionnel mais un état permanent, la liberté n’existe plus et l’ignorance est valorisée comme une force. 

Ce slogan est une parfaite illustration du principe de la Doublepensée (Doublethink) qui consiste à accepter deux points de vue contraires. Dans le système de l’Angsoc, tous les habitants doivent exercer la doublepensée, ce qui contribue à éliminer tout esprit critique. 

Connaître et ne pas connaître. En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot « double pensée » impliquait l’emploi de la double pensée.” 

Partie I, Chapitre 3

Cette invention de George Orwell est, pour moi, véritablement révélatrice de son génie. Je ne sais quelles étaient les profondeurs de ses réflexions pour réussir à inventer un tel système mais le contrôle de la pensée est le fil conducteur du récit, personne n’y échappe, pas même le lecteur. 

La mutabilité du passé

Tout doit être au service de l’Angsoc et rien ne peut contredire sa toute-puissance. Dans cette optique, le contrôle du présent et la maîtrise de l’avenir ne sont pas suffisants, il faut en plus réécrire le passé. 

Celui qui a le contrôle du passé, disait le slogan du Parti, a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé.” 

Partie I, Chapitre 3

C’est précisément le métier de Winston au Ministère de la Vérité.  

Jour par jour, et presque minute par minute, le passé était mis à jour. On pouvait ainsi prouver, avec documents à l’appui, que les prédictions faites par le Parti s’étaient trouvées vérifiées. Aucune opinion, aucune information ne restait consignée, qui aurait pu se trouver en conflit avec les besoins du moment. L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire. Le changement effectué, il n’aurait été possible en aucun cas de prouver qu’il y avait eu falsification”. 

Partie I, chapitre 4

C’est ici un thème assez classique qui est abordé : le contrôle des médias et la censure. George Orwell s’est inspiré de régimes totalitaires pour écrire son roman, il n’est donc pas étonnant de retrouver ces éléments. Mais au delà de la simple censure, c’est ici la complète réécriture de l’histoire qui a lieu. Cette volonté de contrôler l’information est toujours utilisée à travers les nombreuses fake news bien souvent diffusées par des milieux ayant certaines affinités pour les régimes totalitaires.  

Le passé, réfléchit-il, n’avait pas été seulement modifié, il avait été bel et bien détruit. Comment en effet établir, même le fait le plus patent, s’il n’en existait aucun enregistrement que celui d’une seule mémoire ?” 

Partie I, Chapitre 3

Conclusion

Lire 1984 n’est pas simplement lire un des plus grands romans de la littérature mondiale, c’est aussi lire une véritable mise en garde contre les dérives du totalitarisme et contre toutes les privations de liberté. Lire 1984, c’est une prise de conscience. 

Une prise de conscience plus que nécessaire à notre époque où l’on a tendance à renier nos libertés au nom de la sécurité. La menace terroriste devient prétexte à toujours plus de contrôle, de surveillance et de remise en cause de la vie privée. 

A l’heure où les caméras sont de plus en plus présentes dans nos vies, où l’intelligence artificielle dépasse les capacités du cerveau humain et où des pays attribuent des points à leurs citoyens, l’avertissement de 1984 semble plus que jamais d’actualité. 

L’auteur


George Orwell, de son vrai nom Eric Blair, est né en 1903 en Inde et mort en 1950 à Londres. Il fut un écrivain et journaliste britannique. Il est particulièrement connu pour ses romans 1984 et La Ferme des animaux à travers lesquels il met en garde contre les totalitarismes. Sa postérité est telle que l’adjectif orwellien est devenu une référence à l’univers totalitaire qu’il a imaginé. 

Ses engagements et positions politiques apparaissent clairement dans ses oeuvres et sont le reflet de son expérience. Ainsi, après avoir été représentant des forces de l’ordre colonial en Birmanie, il n’aura de cesse de dénoncer l’impérialisme britannique (notamment dans Une histoire birmane, un de ses premiers romans). 

Véritable visionnaire, il lutte pour l’égalité sociale et contre les injustices. Il n’a d’ailleurs pas hésité à partager la vie de marginaux afin de mieux les comprendre et à participer à la guerre d’Espagne afin de combattre contre Franco. Il était aussi déjà conscient de l’état de la planète et déplorait le gaspillage des ressources énergétiques.

Tous ses écrits à partir de 1946 sont une lutte contre le totalitarisme. En janvier 2008, le magazine Times le classa deuxième parmi les cinquante plus grands écrivains britanniques depuis 1945. 

Littérature caribéenne

La Rue Cases-Nègres, Joseph Zobel

Eh bien ! C’est à croire que vraiment cette catégorie de femmes que sont les vieilles mères noires et pauvres détiennent, dans le cœur qui bat sous leurs haillons, comme un pouvoir de changer la crasse en or, de rêver et de vouloir avec une telle ferveur que, de leurs mains terreuses, suantes et vides, peuvent éclore les réalités les plus palpables, les plus immaculées et les plus précieuses.

page 185

Informations générales

  • Année de parution : 1950
  • Genre : Roman autobiographique
  • Nombre de pages : 311

Résumé

José est une jeune garçon vivant avec sa grand-mère, m’man Tine, à la rue Cases-Nègres en Martinique dans les années 1930. Cette dernière travaille dans les champs de cannes à sucre pendant que José jouit d’une totale liberté avec les enfants de la rue. 

D’aventures en aventures, les enfants sont plus libres que jamais pendant que leurs parents travaillent dans les champs. Un évènement mettra fin à cette liberté et poussera m’man Tine à inscrire José à l’école. Commence alors une nouvelle vie pour le jeune José, qui se découvrira des talents pour l’étude et l’apprentissage. 

L’histoire est racontée à la première personne. Ainsi les conditions de vie difficiles et les injustices subies par les descendants d’esclaves sont abordées à travers le regard enfantin de José, ce qui rend le récit encore plus poignant. 

Avis et analyse 

Aux Antilles, ce roman de Joseph Zobel est souvent étudié à l’école. Il présente l’avantage de proposer une approche en douceur de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. Cette histoire est bien présente et constitue la trame de fond du récit. Les personnages qui gravitent autour de José sont tous des reflets de cette histoire. 

Il y a d’abord la figure forte de m’man Tine, une femme battante, capable de la plus grande douceur comme de la colère la plus terrible. C’est une femme déterminée qui fera tout pour que son petit-fils échappe au destin des descendants d’esclaves de l’époque, à savoir le travail dans les champs de cannes. 

Plus tard dans le récit, la mère de José, m’man Délia, s’acharnera, elle-aussi, à assurer à son fils un meilleur avenir. Les femmes de la famille de José sont à l’image du modèle de la femme “potomitan”, expression créole qui désigne la femme pilier, la mère courage, celle qui porte sa famille.

Le lien avec l’Afrique apparaît avec le voisin de José, Monsieur Médouze, qui apparaît comme un grand-père de substitution. José aime passer du temps à ses côtés et écouter ses histoires et ses énigmes :

Tout l’attrait de ces séances de devinettes est de découvrir comment un monde d’objets s’apparente, s’identifie à un monde de personnes ou d’animaux.

page 53

Ce passage est une référence claire à l’animisme, très présent en Afrique. Monsieur Médouze partage aussi avec José l’histoire de son pays d’origine, la Guinée : 

Rien de plus étrange que de voir M. Médouze évoquer la Guinée, d’entendre la voix qui monte de ses entrailles quand il parle de l’esclavage et raconte l’horrible histoire que lui avait dite son père, de l’enlèvement de sa famille, de la disparition de ses neufs oncles et tantes, de son grand-père et de sa grand-mère.

page 57

Pour moi, Monsieur Médouze est le lien qui existe entre les sociétés antillaises et la terre mère, l’Afrique. Il est témoin d’une autre vie, une vie bien souvent oubliée par les descendants d’esclaves mais qui ne cesse d’influencer et d’imprégner la culture antillaise. 

L’oeuvre est aussi une critique de la société post-esclavage et notamment de l’exploitation des anciens maîtres d’esclaves, les békés. Les conséquences sont nombreuses sur la vie des habitants de l’île : 

Non, non ! Je renie la splendeur du soleil et l’envoûtement des mélopées qu’on chante dans un champ de canne à sucre. Et la volupté fauve de l’amour qui consume un vigoureux muletier avec une ardente négresse dans la profondeur d’un champ de canne à sucre. Il y a trop longtemps que j’assiste, impuissant, à la mort lente de ma grand-mère par les champs de cannes à sucre

page 211

José décrit ici la mort lente de ceux qui sont exploités au service des maîtres d’esclaves. La frontière est mince d’ailleurs entre la vie des descendants et celle que vivaient leurs ancêtres esclaves. 

Une autre critique transparaît dans le récit, celle du complexe d’infériorité par rapport aux anciens maîtres. Ainsi, ce passage parle des liaisons entre femmes noires et békés : 

Chacun sait que lorsque de telles liaisons naissent ces enfants à peau “sauvée”, la mère n’est que trop fière d’avoir – elle, noire comme le tableau noir de la conscience du béké – contribué à ce qui, dans leur complexe d’infériorité, tient à coeur beaucoup de nègres antillais : “Éclaircir la race”.

page 278

Le colorisme est l’un des fléaux engendrés par l’esclavage, encore présent de nos jours, fustigé avec force par l’auteur. 

Tous les personnages rencontrés par José sont un témoignage de la société de l’époque et servent à dénoncer ses problématiques. L’école et l’éducation occupent une place centrale dans l’ouvrage et s’offrent comme un échappatoire, même si les inégalités pour y accéder sont dénoncées. 

Les réflexions de José et sa vision du monde évoluent avec l’âge et au fil des pages, nous poussant tantôt à l’émotion, tantôt à l’indignation, mais surtout nous faisant prendre conscience de la richesse et de la complexité de l’histoire des sociétés antillaises. 

L’auteur

Né en 1915 à Rivière-Salée en Martinique et mort en 2006 à Alès, Joseph Zobel était un romancier et poète martiniquais considéré comme l’un des plus grands auteurs de la littérature antillaise. La Rue Cases-Nègres est un roman autobiographique dans lequel on en apprend plus sur son enfance et son parcours.